Brian Ward, directeur adjoint, Institut de recherche du CUSM, souligne l’importance d’établir des relations de confiance pour créer un environnement de recherche sain et fructueux pour toutes les parties en cause. —Rapport d'une présentation à la conférence 2012 de l'IASI-CUSM

En 1873, le bureau du Reich, à Munich, faisait circuler une note de service où l’on pouvait lire ceci : « … dans une ville, il ne faut pas rester indifférent à l’infestation des logements des pauvres par la typhoïde et le choléra, car c’est aussi une menace pour la santé des gens les plus riches. »

Depuis, l’écart social et psychologique entre les plus riches et les plus pauvres du monde s’est rétréci. Montréal n’est qu’à une journée et demie de l’endroit le plus démuni de la Terre. Le Canada accueille tous les ans environ un quart de million d’immigrants, et dans le seul mois de juin 2012, 800 000 Canadiens ont voyagé à l’étranger et 26 000 Chinois ont visité le Canada. Le recensement de 2006 indique que 3,4 millions d’Ontariens sont nés à l’étranger, et à Montréal Centre, plus de 60 % des résidents sont d’origine étrangère.

La santé dans le village planétaire

En 2001, le Centre des maladies tropicales de l’Université McGill a commencé à recevoir des appels de médecins de St-Hyacinthe, Chicoutimi et Rimouski, confrontés pour la première fois à des cas de paludisme. Après l’examen des cas, le Dr Dick Maclean — qui a donné son nom au Centre — a constaté qu’une hausse massive du paludisme à falciparum, la forme la plus virulente, était liée à l’arrivée de quelque 20 000 réfugiés de camps tanzaniens. Poursuivant ses recherches, il a relevé d’autres pics en 1987 et 1988, soit entre 1 000 et 2 000 cas de paludisme à vivax au Canada, et des pointes semblables au Royaume-Uni et aux États-Unis pendant la même période. Comme on le voit à la figure 1, c’est une épidémie de paludisme à vivax dans les provinces du Punjab et de l’Haryana qui a causé la plus forte flambée de paludisme au Canada.

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Courtoisie : Le Dr Brian Ward

Ce n’est plus « nous » et « eux ». La recherche sur les maladies comme le paludisme est aussi utile pour les Canadiens que pour les populations vivant dans des régions où cette maladie est endémique.

La mondialisation des priorités de la recherche

Premièrement, il faut mettre en œuvre les mesures que nous savons efficaces, et elles sont nombreuses : eau potable, nourriture suffisante, hygiène, santé maternelle et infantile, vaccins, moustiquaires contre le paludisme, antibiotiques, vitamine A. Il faut aussi mener des recherches sur la manière de fournir les éléments qui entraîneront une nette amélioration de la santé dans les pays pauvres en ressources et dans les segments défavorisés des pays riches.

Deuxièmement, il s’agit de réduire les facteurs néfastes : tabagisme, pollution, calories vides, obésité, diabète, hypertension, etc. Ces problèmes touchent le monde entier, et non les seuls pays riches comme certains le croient. En 2012, l’Argentine détenait le record mondial de l’obésité, suivie de près par le Mexique, puis les États-Unis. Tous les pays sont confrontés aux problèmes découlant de l’obésité : hypertension, diabète, arthroplasties, etc.

Troisièmement, il importe de poursuivre des recherches de pointe. Les sciences « omiques » révèlent des choses insoupçonnées au sujet des processus pathologiques. Nous avons besoin de recherche à tous les niveaux, dans toutes les sociétés, et d’esprits brillants qui s’attaqueront aux défis et collaboreront avec leurs collègues du monde entier.

Recherche fondamentale et appliquée

Des instituts de recherche, dont l’IR-CUSM, effectuent de la recherche fondamentale, des études sur les animaux, des essais cliniques sur les personnes, des essais à grande échelle et des analyses sur d’énormes volumes de données. La recherche est un continuum d’idées, allant des premières étapes de la découverte jusqu’à son application et son évaluation. Les Romains ont inventé le ciment, qui a eu peu d’applications avant d’être utilisé pour la construction d’aqueducs. Mais le prix Nobel aurait récompensé l’inventeur du ciment, et non les constructeurs de l’aqueduc. On nous incite fortement à aller vers la recherche appliquée, mais on ne pourrait en faire sans les découvertes de nos chercheurs fondamentaux.

La distinction entre science fondamentale et science appliquée n’a pas sa place et doit être abolie. La recherche est également valable tout au long du continuum, car les découvertes qui ne sont pas appliquées n’auront guère de valeur.

Prenons la recherche fondamentale sur le microbiome intestinal, qui résoudra peut-être les problèmes de poids excessif ou insuffisant. Chercheurs et microbiologistes en milieu hospitalier s’intéressent au rôle actif de l’intestin dans l’extraction du contenu calorique des aliments. La recherche a montré qu’une souris ayant un certain type de flore colique peut extraire jusqu’à 30 % plus de calories qu’une souris ayant un autre type de flore. Cette découverte apportera peut-être une réponse à l’excès et à l’insuffisance de poids. Les premiers essais cliniques sur la transplantation de matières fécales chez des humains sont en cours dans quelques pays. Des découvertes fondamentales dans le milieu de la recherche en santé peuvent entraîner des solutions novatrices susceptibles de remédier à d’importants problèmes à l’échelle mondiale.

La recherche internationale dans la pratique

L’Université McGill est déjà un établissement mondialisé, avec des étudiants aux cycles supérieurs provenant de 150 pays. De 30 % à 50 % des étudiants diplômés, des étudiants au doctorat, des stagiaires postdoctoraux et des boursiers en clinique viennent de l’étranger. Avec un imposant budget annuel, quelque 350 laboratoires voués à la recherche fondamentale et clinique, un grand nombre de chercheurs cliniciens et 306 chercheurs principaux, l’IR-CUSM est de loin l’institut de recherche universitaire le plus important au Québec. Et le nouvel hôpital augure bien de l’avenir, mais la recherche dont nous avons maintenant besoin s’effectue dans le cadre de collaborations internationales, et non au sein d’un seul établissement.

Des instituts nationaux, philanthropiques et même militaires ont établi des modèles de collaboration qui encouragent et récompensent des chercheurs de pays en développement pour leur participation à tous les niveaux de la recherche. Les collaborations scientifiques sont de plus en plus nombreuses, et ce, pour plusieurs raisons (voir la figure 2).

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Courtoisie: Le Dr Brian Ward

Dans l’évaluation préliminaire du vaccin contre le sida, les États-Unis et d’autres pays ont défrayé l’installation et l’accréditation de sites dans des pays à faible revenu, où les taux de transmission du VIH étaient élevés. Pas nécessairement par charité, mais parce que le contrôle du VIH par les antirétroviraux est si efficace dans les pays riches qu’il est impossible d’y étudier un vaccin anti-VIH, à moins qu’il s’agisse d’un vaccin thérapeutique. Présentement, les chercheurs en sont réduits à étudier les vaccins candidats dans les pays où le virus est encore transmis activement.

Il faut sauvegarder la confiance à l’égard des collaborations scientifiques et s’assurer qu’elles favorisent toutes les parties en cause. Il y a de très bons et très mauvais exemples de collaborations internationales, et un besoin urgent d’amélioration.

Les études pivots ayant démontré l’efficacité du vaccin contre l’hépatite B ont été réalisées à Haïti au début des années 1980, mais ce n’est que 30 ans plus tard que le pays a bénéficié d’un programme de vaccination universelle contre l’infection. Une telle approche coloniale de la recherche a plus récemment amené le gouvernement indonésien à refuser l’accès à ses virus, qui conviennent mieux à la fabrication du vaccin contre le sous-type H5NI du virus de l’influenza aviaire hautement pathogène qui nous inquiète tant. Tout chercheur quittant le pays avec un virus est passible d’emprisonnement. En réaction à la tradition scientifique qui vole essentiellement la propriété intellectuelle des pays en développement, des pays comme le Zimbabwe et plus récemment l’Égypte ont imposé de nombreuses restrictions à la collecte d’échantillons de matière organique pour la recherche. Nous devons nous pencher sur ces questions et rétablir la confiance.

Des partenariats durables

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Courtoisie : le Dr. Brian Ward. Les collaborations sont établis par l’entremise de stagiaires et de collaborations.

Les réseaux nationaux et internationaux qui peuvent émerger d’un seul laboratoire de l’IR-CUSM sont parfois très étendus. La figure 3 montre les pays avec lesquels mon laboratoire et celui du Dr Momar Ndao — un stagiaire postdoctoral venu du Sénégal — ont collaboré depuis 20 ans. Les traits rouges représentent les stagiaires venus de ces pays. Mais cela n’est pas suffisant. Les universités canadiennes doivent attirer des étudiants et des stagiaires à plusieurs égards, pas seulement pour les droits de scolarité, mais pour leur matière grise, leur dynamisme et leur passion. Les étudiants diplômés étrangers viennent ici investis d’une mission et beaucoup retourneront dans leur pays, ce qui est bon pour nous tous. Nous devons rétablir la dispense des droits de scolarité « pour étrangers », que l’Université McGill a supprimée il y a quelques années, et devrions envisager de consacrer une partie des fonds de développement au soutien d’étudiants étrangers et au maintien de partenariats avec ces derniers une fois de retour dans leur pays.

La politique canadienne en matière d’immigration cible des étrangers hautement formés et il est vrai que bon nombre d’entre eux veulent venir au Canada. Mais il faut jumeler cette politique avec des programmes qui offrent un soutien à ceux qui veulent retourner dans leur pays d’origine pour y faire de la recherche. Chacun d’eux est une petite entreprise en soi et, en les soutenant, nous ferions contrepoids à notre approche largement prédatrice de l’immigration.

En terminant, nous devons développer, promouvoir, financer et étudier la recherche effectuée à l’étranger et travailler pour les étudiants nés au Canada. Ce que nous faisons aujourd’hui n’est guère mieux que du tourisme « branché ». Nous devons repenser notre approche et encourager nos diplômés, nos étudiants postdoctoraux et notre personnel enseignant (médecins, pharmaciens, infirmières) à s’engager dans des partenariats à long terme. Des collaborations durables, respectueuses et sérieuses sont essentielles pour aborder les priorités de la recherche qui nous aideront à relever les enjeux de la santé dans le village planétaire.