Yeona Jang, professeure dans la Faculté de gestion Desautels, Université McGill, décrit les attentes suscitées par les investissement en TI dans les secteurs bancaire et manufacturier. —Rapport d'une allocution prononcé à la conférence 2010 de l'IASI-CUSM

À l’échelle mondiale, de 1987 à 2004, la part des dépenses en capital consacrées aux TI a presque doublé, et malgré les récents déboires financiers, les dépenses en TI augmentent encore et s’établiront cette année à quelque 3,3 billions de dollars. Les secteurs financier et manufacturier comptent pour près de 30 % des investissements.

Mon travail m’a amenée à exploiter les occasions offertes par les TI pour favoriser l’innovation et la transformation. Les TI changent la manière de faire des affaires et notre mode de vie, mais les progrès demeurent ardus dans tous les secteurs.

Rendement du capital investi dans les TI

Pour déterminer la performance des TI, le Standish Group examine les données de mise en œuvre de projet. En 1994, il a montré qu’environ 16 % des projets de TI réussissaient, c’est-à-dire qu’ils respectaient les engagements, le budget et les normes de qualité visées (voir la figure 1). Aujourd’hui, 15 ans plus tard, le taux de succès de l’implantation des projets est d’environ 30 %. Le taux d’échec — des projets annulés n’offrant plus aucun espoir — est d’environ 20 %.

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Source: Standard Group Surveys, www.standishgroup.com ; Courtoisie de la professeure Yeona Jang

Le RCI des projets de TI est hautement variable, et ce, malgré un rapport certain et favorable entre l’investissement dans les TI et la croissance de la productivité. Dans une étude réalisée en 2000 par le Conference Board, 40 % des projets de TI n’atteignaient pas leurs objectifs commerciaux dans l’année : ils ne dégageaient pas le RCI promis dans leur analyse de rentabilité. En 2008, une étude sur la mise en œuvre de systèmes complexes portant sur des processus d’affaires et regroupant plusieurs parties prenantes a montré que, pour des projets de cette nature, la probabilité de respecter l’échéancier n’était que de 7 %, et que les deux tiers des projets dépassaient le budget de mise en œuvre. Même lorsque le logiciel avait été installé avec succès, il y avait des interruptions opérationnelles dans plus de la moitié des projets. Seulement 20 % des entreprises ont atteint 50 % ou plus des résultats projetés. Cette étude portait sur les secteurs financier et manufacturier.

L’adoption des solutions TI présente aussi des résultats hautement variables. Selon les travaux du professeur McCaffee de l’Université Harvard, les taux d’adoption se situent entre 30 % et 75 %. En 2008, une étude a conclu qu’il n’y avait qu’une chance sur deux que les utilisateurs adoptent la nouvelle application d’une entreprise.

Pourquoi les entreprises investissent-elles encore ?

Si de 30 % à 75 % des projets échouent, de 25 % à 70 % réussissent. Or, le problème vient des entreprises qui, en réussissant leur transition, sont source de progrès : les clients s’habituent à l’innovation, découvrent de nouveaux besoins et en veulent davantage. La pression qui s’exerce sur la concurrence oblige les entreprises à innover sans cesse et à créer de la valeur en faisant les choses plus vite, plus intelligemment et à moindres coûts.

À la fin des années 1990, Internet faisait son entrée dans les entreprises, qui se demandaient quelle importance y accorder et comment l’utiliser. J’ai eu la chance de faire partie d’une équipe formée par John Reid, à Citibank, qui a compris qu’Internet serait la nouvelle infrastructure de prestation des services financiers partout dans le monde. Il a créé une équipe de développement de produits et services financiers en ligne. Malgré une forte résistance et des inquiétudes concernant la protection des renseignements personnels et d’autres enjeux commerciaux et technologiques, l’équipe a pu mettre au point les premiers services bancaires par Internet au monde, lancés simultanément dans sept pays. Aujourd’hui, ils font partie de la vie quotidienne.

Il est normal de vouloir être l’instigateur du changement, car on a ainsi l’occasion d’acquérir de l’expérience dans la gestion du changement, qui se produit inévitablement.

Peut-on éviter les échecs ?

Avec le temps, les directeurs de l’information et les cadres supérieurs finissent par comprendre pourquoi certains projets réussissent et d’autres échouent. L’encadré montre les causes habituelles des échecs, notamment des exigences incomplètes, la participation insuffisante des utilisateurs, le manque de ressources, des attentes irréalistes et le soutien insuffisant de la haute direction.

Les facteurs de réussite comprennent la participation des utilisateurs, le soutien de la haute direction, un énoncé clair des exigences, une planification adéquate et des attentes réalistes. Les TI donnent à l’organisation l’occasion de fédérer son effectif en vue d’améliorer la performance.

Mes 20 ans d’expérience dans le domaine des TI m’ont enseigné que la technologie est relativement inintéressante en soi, à moins d’être enrobée d’une solution qui aborde les enjeux non technologiques. En généralisant la règle du 80/20, on peut dire que 80 % des défis de mise en œuvre d’une technologie se rapportent à la dynamique de l’organisation, du personnel et des processus. Ne restent que 20 % qui ont trait à la technologie elle-même.

L’amélioration du taux de succès passe nécessairement par l’orchestration de trois éléments (voir la figure 2): la direction, qui doit déterminer l’objectif commercial et la stratégie du système TI ; les gens directement ou indirectement touchés par le système qui doivent participer dès le départ ; et la capacité non seulement de gérer le système, mais aussi de s’assurer que les changements y seront apportés selon les besoins.

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Courtoisie de la professeure Yeona Jang

Pour faire participer les gens, il faut surmonter leur résistance au changement et toucher leur fibre émotionnelle pour qu’ils se sentent impliqués et acceptent de modifier leur comportement. Or, cela va beaucoup plus loin que l’envoi de notes de service : dès le début, les gens doivent s’engager et participer activement à titre de collaborateurs qui façonneront l’avenir. En travaillant avec le nouveau système, ils découvriront de nouveaux besoins. La capacité de gérer l’évolution et le changement — et non viser la perfection au premier essai — requiert différentes habiletés de gestion ainsi qu’une certaine aptitude à fonctionner dans le chaos.

Gérer les attentes

La professeure Jang offre quelques conseils d’ordre général :

1. S’attendre à de la résistance et s’y préparer le plus tôt possible.

2. Prévoir une chute de rendement après la mise en ligne du système et la planifier.

3. Ne pas s’attendre à une amélioration immédiate de la performance. Fournir le soutien nécessaire pour accélérer la courbe d’apprentissage et minimiser la contre-performance.