Robert Kolodner, ancien National Coordinator for Health IT aux États-Unis, fait le bilan des programmes nationaux de santé électronique

Il y a un siècle, une percée technologique suscitait de nombreux débats parmi les médecins américains. En effet, dans l’édition d’avril 1906 du Journal of the American Medical Association, on retrouvait une section spéciale où étaient présentées des lettres de médecins qui tentaient, avec passion, de répondre aux questions suivantes : « Des voitures pour les médecins : sont-elles pratiques ou souhaitables ? Sont-elles économiques? La voiture devrait-elle remplacer le cheval ? » On y retrouvait des analyses comparant le cheval à l’automobile (figure 1) en même temps que des opinions tranchées sur la façon dont l’automobile allait transformer les soins de santé. Ce débat fit rage durant quelques années. À la même époque, la ville de New York était confrontée à un grave problème : la croissance de la population était accompagnée d’une forte augmentation de la quantité de fumier de cheval. Les prévisions se multipliaient et tous anticipaient un désastre pour 1920. Personne n’avait prévu que le problème disparaîtrait tout simplement de lui-même…

2010 Kolodner Fig 2

Source: JAMA, 21 avril, 1906

 

Le secteur de la TI en santé existe depuis près de 40 ans. Il aura fallu un délai comparable pour que nombre d’autres transformations touchant le domaine de la réfrigération ou l’usage des machines à des fins industrielles puissent être peaufinées et commencent à produire des bienfaits. Ces bienfaits apparaissent lorsque nous trouvons la façon d’intégrer ces nouvelles technologies à nos sociétés.

 

Dès que la technologie — dans les voitures, les appareils téléphoniques ou les iPod — se transforme en un produit de consommation courante, elle devient plus rapide, moins onéreuse et plus conviviale pour les moins habiles d’entre nous. Ces mêmes personnes qui ne parvenaient pas, il y a 10 ans, à cesser de faire clignoter le témoin de leur lecteur de vidéocassettes téléchargent désormais des films et se servent d’un iPhone. Ce n’est pas tant qu’elles soient devenues beaucoup plus habiles sur le plan technique, mais plutôt que la technologie est devenue plus conviviale.

Les marchés de la technologie gagnent aussi en maturité. La TI en santé est désormais axée sur les fournisseurs. Dès qu’elle devient plus éprouvée et concurrentielle, la TI en santé profite à tous, y compris aux fournisseurs, malgré certaines difficultés initiales. Les fournisseurs et les hôpitaux peuvent aussi éprouver certaines réticences dans la mesure où la technologie permet aux utilisateurs d’avoir un meilleur contrôle sur leur santé. Même dans le domaine des soins de santé, les modèles de gestion évoluent.

De nos jours se pose le défi d’établir un équilibre entre la normalisation requise pour assurer l’interfonctionnement et l’innovation sur le plan local. La véritable innovation n’est pas imposée d’en haut, au niveau national, mais émane des utilisateurs qui profitent des nouvelles capacités à leur portée.

Dans le domaine des soins de santé, on estime que les connaissances doublent ou triplent tous les 10 ans : les systèmes de TI actuels n’offrent pas cette souplesse. Des systèmes d’autres domaines reposent au moins sur un ensemble prédéterminé de processus. Le cadre politique pose également un défi. Les cycles politiques qui varient de deux à cinq ans déterminent les dates des projets, même au risque que certaines mesures soient implantées trop tôt et que l’ensemble de l’initiative soit retardée. Les changements organisationnels qui surviennent actuellement au Danemark et au Royaume-Uni découlent souvent non pas des besoins, mais de considérations politiques.

Sur le plan technique, le domaine de la TI en santé gagne en robustesse et offre aux clients beaucoup plus d’options, à moindre coût. Les fournisseurs et les clients pourront bientôt choisir parmi des applications adaptées, sans avoir à se soucier de longs processus d’installation et de mise en place. Interchangeables, les utilisateurs pourront adapter les systèmes à leurs besoins et les conserver, lorsqu’ils changeront d’endroit.

Sommes-nous prêts pour de véritables changements?

Les soins axés sur le patient constituent l’objectif avéré des systèmes de TI en santé. Toutefois, par « axés sur le patient », entendons-nous « axés sur le patient pour autant que notre emploi actuel et la façon dont nous nous acquittons de nos responsabilités sont protégés ? » Ou souhaitons-nous véritablement être axés sur le patient et sommes-nous disposés à trouver de nouveaux rôles et de nouveaux apports ? La transformation du système de santé peut avoir des conséquences désagréables. Avant de s’engager sur la voie de la réforme, il y a 10 ans, le responsable des employés du ministère des Anciens combattants leur avait lancé le défi d’agir de telle sorte que leur seul souci soit de « mettre les anciens combattants au centre de leurs préoccupations » et ce, même au risque de démembrer les centres médicaux de l’organisation, en vue d’intégrer les anciens combattants au système de santé public.

Tout système de santé évolutif présente un caractère dynamique et perturbant. Chaque fois que nous découvrons, avec l’aide de la TI en santé, en quoi et où nos systèmes ne répondent pas à nos besoins, nous devons apporter des correctifs. Ces changements nécessitent de constantes améliorations des soins, la technologie en elle-même demeurant secondaire. L’architecture des systèmes de TI doit aussi leur permettre d’évoluer facilement, en offrant de nouveaux moyens de répondre aux changements. L’objectif est de jeter des bases souples d’un développement imprévisible.