M. Michel Clair qui, dans le rapport de la Commission d’étude qu’il a dirigée en 2001, avait appuyé une présence accrue du secteur privé dans la santé, a été invité à prendre le parti du « oui » dans le débat. La Dre Nuala Kenny, membre fondatrice de Canadian Doctors for Medicare, pédiatre et membre de la congrégation des Sœurs de la Charité, a pris le parti du « non ». —Rapport d'une présentation à la conférence 2008 de l'IASI-CUSM

Pas de débat sur le financement privé

Les débatteurs ont précisé que le financement et la prestation des soins de santé étaient deux questions différentes. M. Clair a ajouté que le financement privé ne faisait guère l’objet d’un débat. « À mon avis, a-t-il dit, le financement public constitue la plus grande réalisation de notre système. Il est important que l’État contribue largement aux soins de santé et je suis opposé à toute assurance duplicative qui introduirait un système à deux vitesses. Le financement public est non seulement en accord avec mes valeurs personnelles, mais aussi avec nos valeurs sociales, politiques et économiques. » La Dre Kenny abondait dans le même sens. « Le financement public est un enjeu crucial, car il garantit à tous l’égalité d’accès aux services. ».

Est-ce qu’une participation accrue du secteur privé dans la prestation de services améliorerait les soins de santé ?

Mr. Michel Clair : Oui

La prestation des services ne fait pas partie intégrante de nos valeurs sociales. Je crois qu’une présence accrue du secteur privé dans la prestation améliorerait les soins de santé pour les cinq raisons suivantes :

Raison 1. Efficacité

Une concurrence dans la prestation de nombreux services créerait un stress systémique très sain. Aucune gestion centralisée, aucun monopole, quelle qu’en soit l’efficacité, ne peut faire mieux que la concurrence pour accroître la productivité et l’efficience d’un secteur aussi énorme que la prestation des services de santé.

Raison 2. Responsabilité

Avec l’introduction de fournisseurs privés, on améliorerait la capacité du système d’évaluer la performance de ses agents de production — publics ou privés, avec ou sans but lucratif — relativement aux critères de coût et de qualité. Les entreprises privées maîtrisent bien le contrôle de la qualité ainsi que les contrôles financiers et opérationnels. Dans le secteur privé, la transparence et la bonne gouvernance s’appuient sur ces valeurs.

Raison 3. Innovation

Une présence accrue du secteur privé donnerait un nouvel essor à l’innovation, les entreprises considérant l’innovation comme un moyen d’accroître leurs bénéfices. Au sein du système, les possibilités d’innovation sont nombreuses, mais la mise en œuvre des résultats, qu’ils soient d’ordre clinique, technologique ou administratif, demeure un défi de taille dans tout monopole. Pour le secteur privé, l’adoption des dernières découvertes de la recherche est une question de survie et de concurrence.

Raison 4. Prévention d’un système à deux vitesses

La prestation privée, intégrée au système de santé canadien à titre de partenaire essentiel poursuivant les mêmes objectifs généraux dans l’intérêt public, créerait un puissant effet de levier pour empêcher la montée d’un système privé parallèle destiné aux personnes riches. Plusieurs activités à fort volume, par exemple les examens diagnostiques et les chirurgies, pourraient bénéficier de la capacité du secteur privé de fournir des services de qualité de manière efficace et moins coûteuse. L’idée, c’est d’attirer les intérêts privés vers le régime public, plutôt que de les ignorer et de les laisser mettre en place un système parallèle, qui serait financé par le secteur privé et concurrencerait le régime public.

Raison 5. De meilleurs budgets

La présence accrue du privé transformerait les règles d’établissement des budgets. Aucun ministère ne financerait une entreprise privée sur une base historique. Avec la prestation privée, les budgets seraient fondés sur un coût unitaire. Les citoyens auraient un plus grand choix de fournisseurs, qui seraient payés par un acheteur public, comme le sont actuellement les fournisseurs publics. Cela donnerait au système un élan incroyable pour commencer à offrir un accès rapide et simple aux services plutôt que de gérer des listes d’attente.

Récapitulation

En conclusion, la présence accrue du secteur privé dans la prestation de soins financés par l’État est l’occasion d’améliorer la productivité de notre système de santé. C’est une solution bonne en soi et bonne pour le système. Elle mobiliserait les investisseurs et les gestionnaires du secteur privé dans la modernisation de notre prestation, avec l’objectif de servir l’intérêt public. Elle améliorerait également la qualité des services, le rythme de l’innovation, l’efficacité et l’accès aux services. Pour que la prestation privée soit possible, nous devons mettre un terme à toute la confusion entre la prestation et le financement, et commencer à considérer la prestation privée comme un partenaire essentiel dans la modernisation de notre système.

La Dre Nuala Kenny : Non

Notre système a fait appel à la prestation privée dès le départ, mais seulement à titre non lucratif. En considérant la prestation privée, il faut examiner attentivement l’élément lucratif, et ce pour trois raisons principales :

Raison 1. Tous les services ne sont pas rentables

En Europe, plusieurs pays exigent que la tarification des services soit la même, peu importe que le fournisseur soit public ou privé. Cependant, tous les services ne se prêtent pas au profit, d’où le danger qu’un recours accru aux fournisseurs privés à but lucratif contribue au développement de créneaux rentables, au détriment de ceux qui ne le sont pas, et nous laisse en bout de ligne avec un système incapable d’assurer l’ensemble des services de santé.

Raison 2. On finira peut-être par utiliser les fonds publics pour renflouer les entreprises privées

Au Canada, nous avons vu des établissements de soins de santé confier des interventions à des fournisseurs de soins privés, dans l’espoir de réduire les temps d’attente et d’injecter des fonds additionnels dans le système. Cela peut s’avérer utile pour faire un peu de ménage et rétablir les forces en présence, mais plus risqué s’il s’agit de venir en aide aux fournisseurs privés à but lucratif. En Australie, on rapportait récemment que l’État versait maintenant quelque 3 milliards de dollars pour garder à flot des fournisseurs privés à but lucratif. Nous devons éviter tout mécanisme qui permet ce genre de sauvetage.

Raison 3. Les mécanismes du marché comportent autant de risques que d’avantages

Ambulance Nouveau-Brunswick est l’exemple par excellence d’une initiative publique protégeant les soins de santé publics et établissant un partenariat avec une entreprise privée afin de créer un système qui fonctionne très efficacement. Il ne s’agit pas d’encourager la prestation privée par enthousiasme pour le marché comme tel, mais de se demander comment sauvegarder notre système de santé public en l’intégrant à une activité commerciale.

S’il est un domaine dans lequel le secteur privé pourrait apporter une importante contribution, c’est la théorie comptable positive. Notre comptabilité générale est très pauvre et a besoin d’améliorations à tous les niveaux. Nous devrions apprendre auprès d’organisations à but lucratif comment responsabiliser les actionnaires, et commencer à présenter les résultats aux citoyens, vus comme les actionnaires du système de santé.

Les mécanismes du marché répondent bien aux demandes des patients considérés comme des consommateurs, qui veulent plus de choix dans les traitements. Si cette approche comporte des avantages potentiels, elle est rarement appropriée au cadre de la maladie. Le marché est aussi une affaire de concurrence, qui peut apporter des changements favorables, mais pas forcément dans le domaine de la santé. La concurrence se fait avec de la publicité, qui suppose la création de besoins et la promotion de spécialisations. Les solutions technologiques mises de l’avant par le secteur privé ne nous aideront pas à promouvoir la santé, ni à prévenir la maladie ou à gérer les maladies chroniques, qui font partie du continuum de soins.

Récapitulation

Si, dans l’examen des avantages d’une présence accrue du privé, nous distinguons le financement de la prestation, nous aurons ample matière à discussion. Pour le moment, il nous faut des exemples pertinents, et les exemples européens que nous choisirons, le cas échéant, doivent être précis. Nous devrons connaître les protections envisagées pour le régime public, les limites imposées à l’exercice de la médecine et les obligations de rendre compte.