Cette étude de cas, préparée par le Forum d'innovation en santé avec des contributions de la Dre Ajantha Jayabarathan, médecin de famille, Mme Mary Russell, qui dirige le projet pour le gouvernement, et M. David Mosher, chef de produit chez McKesson, examine les efforts du ministère de la Santé et du Mieux-être de la Nouvelle-Écosse d’amener le patient à participer aux soins et d'implantater le service Web RelayHealth. — Produite dans le cadre de la série "Partenariats pour améliorer la performance du système de santé".

L’enjeu

Avec le vieillissement de la population et les taux élevés de maladies chroniques, le système de santé canadien est confronté à deux problèmes de taille, soit le manque de connectivité et les ruptures de communication.

Les coûts augmentent avec les tests effectués en double, les ordonnances multiples, les erreurs de médication et les problèmes dans le transfert des patients d’un niveau de soins à un autre, tous causés par l’impossibilité de partager les données du patient. La sécurité est compromise en raison d’erreurs ou de lacunes dans l’information transmise entre les fournisseurs de soins.

Comme l’a dit Richard Alvarez, président et chef de la direction d’Inforoute Santé du Canada, l’approche désuète du Canada en matière de partage de l’information « sabote tous nos projets prioritaires en matière de soins de santé. »

Les patients demandent un accès plus rapide aux services appropriés et un rôle accru dans la prise en charge de leurs propres soins. S’ils font des opérations financières en ligne, pourquoi ne pourraient-ils pas prendre des rendez-vous médicaux en ligne ? Mais à ce jour, les investissements dans les technologies d’information en santé (TIS) ont surtout privilégié les systèmes hospitaliers et non les systèmes qui requièrent une interaction avec le patient. Dans le rapport intitulé Healthcare Transformation in Canada, publié en 2011, l’Association médicale canadienne mentionnait que les investissements n’avaient toujours pas apporté d’avantages notables aux fournisseurs et aux patients, car pour dégager des avantages, les investissements doivent cibler le point d’intervention ou de service. Les contacts se font essentiellement à l’échelle du médecin de famille.

La Nouvelle-Écosse a fait d’importants progrès grâce à plusieurs initiatives : un système de dossiers informatisés en milieu hospitalier (le système Secure Health Access Record), un système provincial d’archivage et de communication d’images et un dossier médical informatisé pour les soins primaires. Ces systèmes rendent l’information plus accessible aux fournisseurs de soins, mais ne permettent pas aux patients de participer activement à la gestion de leur santé — une priorité incontournable dans une province qui affiche des taux de maladies chroniques parmi les plus élevés au pays.

Le patient comme partenaire dans les soins

La Dre Ajantha Jayabarathan, médecin de famille exerçant dans la communauté à Halifax, préconise depuis longtemps les modèles de soins collaboratifs qui font pleinement participer le patient à la prévention et à la prise en charge de la maladie. « Avec le dossier médical informatisé et le modèle collaboratif, j’adopte une approche préventive et proactive pour modifier les comportements à l’échelle du patient et de la famille, » dit-elle. Elle offre à ses 1 400 patients des visites annuelles et du dépistage personnalisé, et les incite à comprendre leur état de santé, à examiner leurs facteurs de risque et à prendre des mesures pour les atténuer. « Je prends le temps d’expliquer à mes patients les résultats des tests, leur en donne une copie et les amène à participer activement à leurs soins. Pour les patients plus âgés qui risquent de se retrouver à l’urgence, je génère à partir de leurs dossiers médicaux informatisés une feuille décrivant leurs antécédents médicaux et chirurgicaux, leur médication et d’autres données importantes qu’ils remettront au personnel de l’urgence, le cas échéant. »

En mars 2012, le ministère de la Santé et du Mieux-être (le Ministère) avait une bonne nouvelle pour la Dre Jayabarathan, soit l’annonce d’un projet pilote d’une durée de deux ans en vue d’évaluer le dossier de santé personnel (DSP) à l’échelle provinciale. Ce projet allait certainement contribuer aux efforts qu’elle avait déjà déployés pour combler les lacunes du système.

Inforoute Santé définit le DSP comme un dossier médical informatisé complet ou partiel, placé sous la garde du patient (ou d’un membre de sa famille) qui contient l’ensemble ou une partie des données médicales du patient, recueillies tout au long de la vie. « Selon nous, le DSP changera complètement la donne », affirme Mary Russell, directrice du projet DSP au Ministère. Il permettra aux patients de participer aux soins comme jamais auparavant et entraînera une baisse des coûts liés aux maladies chroniques. »

La province tenait à ce que le DSP soit accessible en ligne, qu’il permette au patient de communiquer avec ses fournisseurs de soins pour prendre des rendez-vous et poser des questions courantes concernant les soins, et aux fournisseurs de communiquer entre eux dans l’ensemble du système. Le DSP devait aussi permettre aux patients d’entrer leurs médicaments d’ordonnance, leurs symptômes et leurs données d’autosurveillance et d’accéder à des programmes de mieux-être ciblés. « Le principal avantage du DSP, poursuit Mme Russell, c’est qu’on peut centraliser l’information de plusieurs fournisseurs de soins et y accéder en tout temps et en tout lieu à partir d’une connexion Internet. »

Le programme

Le gouvernement a jugé bon de diriger ce projet afin que les patients ne se retrouvent pas avec un DSP différent pour chaque niveau de soins. « Si l’on veut établir un dossier par patient, on doit adopter une approche systématique et coordonnée, dit Mme Russell. Le Ministère a examiné ce qui a été fait en Europe (plus particulièrement au Danemark) ainsi qu’en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis pour l’aiguillage et l’accès des patients à leurs données médicales. Au Canada, il n’existait aucune étude pertinente quant à l’utilisation du DSP sur grande échelle.

Le Ministère s’est aussi penché sur un modèle de financement autre qu’en capital afin d’implanter rapidement le DSP sans avoir à investir au départ dans le matériel, le logiciel et les ressources humaines requises pour la gestion du programme. « Nous voulions un service sur abonnement flexible et payable à l’utilisation, explique Mme Russell. Inforoute Santé nous a accordé une subvention totalisant 75 % du coût du projet pilote. »

La province a fait un appel d’offres et, après un rigoureux processus d’évaluation, a retenu le service Web RelayHealth de McKesson. « McKesson avait de l’expérience dans l’implantation du DSP, dont une intégration avec 40 différents dossiers médicaux informatisés aux États-Unis, et c’est ce qui a fait pencher la balance en sa faveur. Il s’agissait d’un critère important, car les médecins utilisent différents types de dossiers médicaux informatisés, » a-t-elle poursuivi.

RelayHealth est un service Web simple dont l’interface offre un flux d’information sécurisé entre patients et fournisseurs. Quelque 24 millions de patients et 40 000 médecins l’utilisent aux États-Unis. Les patients peuvent poser des questions d’ordre clinique par une messagerie sécurisée, recevoir des rappels pour les soins préventifs, envoyer une note au bureau du médecin, renouveler des médicaments, consulter les résultats d’examens et prendre des rendez-vous. Ils peuvent aussi entrer et gérer leurs propres données de santé — allergies, vaccins, hospitalisations, visites médicales et antécédents familiaux. Le patient dispose ainsi des outils nécessaires pour prendre en charge ses soins de santé de façon avant-gardiste.

Le fournisseur de service considéré comme un partenaire

« Nous voulions travailler avec un fournisseur expérimenté, car le DSP est un produit relativement nouveau. Peu de choses ont été publiées sur le sujet et il y a encore beaucoup à apprendre tant pour le client que pour le fournisseur. Il est donc essentiel de travailler en mode partenariat », souligne Mme Russell.

« La province reconnaissait volontiers qu’il s’agissait d’une expérience d’apprentissage et qu’il nous fallait travailler avec notre partenaire pour apprendre ensemble », dit David Mosher, directeur de RelayHealth. « En temps normal, l’appel d’offres comporte des exigences très rigides et établit un montant fixe pour un service étroitement défini, et advenant un changement, il faut tout recommencer. Mais l’expérience néo-écossaise a été très différente en ce qu’elle mettait l’accent sur le besoin d’adaptation et de modification en cours de route. »

RelayHealth étant vendu comme un service, le gouvernement n’a pas à investir dans un coûteux projet d’infrastructure ni à développer et mettre à niveau un logiciel. L’absence de coûts de démarrage veut dire que le service convient aux petits hôpitaux et centres médicaux ainsi qu’aux régions éloignées. Si le projet pilote connaît du succès, le service sera offert à l’échelle de la province et le gouvernement étudie actuellement un modèle de financement par abonnement.

Propriété et sécurité des données

RelayHealth permet aux patients de fixer des paramètres de sécurité et de contrôler l’accès aux données. McKesson gère les données, mais ne peut accéder aux dossiers eux-mêmes. Le gouvernement n’a accès qu’aux données agrégées. La confidentialité et la garde des données sont régies par la législation fédérale et provinciale sur le respect de la vie privée.

Contrairement au courriel, qui repose sur plusieurs serveurs de fichiers, RelayHealth n’utilise qu’une seule base de données sécurisée, gérée centralement pour toutes les communications entre patients et fournisseurs de soins. Tous les messages sont acheminés au navigateur Web selon un protocole sécurisé et les données du patient sont totalement confidentielles.

L’adoption

Le projet pilote a été lancé en janvier 2013 dans le district de santé de la capitale (la province en compte neuf). Le district comprend des régions urbaines et rurales et compte 473 omnipraticiens et 880 spécialistes qui desservent une population de 400 000 personnes (près de la moitié de la population provinciale). Le projet a recruté 30 médecins exerçant dans la communauté, qui devaient recruter à leur tour 100 patients avant la fin de 2013. L’objectif de 3 000 patients a été atteint en juillet, six mois avant la date prévue. « La demande est là , » affirme Mme Russell. Le nombre de messages échangés entre médecins et patients est également beaucoup plus élevé que prévu.

Parmi les médecins participants, certains ont adopté le dossier médical informatisé dès son apparition. Ils intègrent actuellement le DSP aux dossiers médicaux existants. D’autres, par contre, conservaient encore des dossiers papier et considéraient le DSP comme un moyen d’accéder rapidement aux résultats de tests et de l’utiliser comme un mini-dossier médical informatisé. RelayHealth fonctionne avec ou sans le dossier médical informatisé. Mme Russell voit d’un bon œil le fait que les médecins et patients pourront utiliser le service selon leurs préférences et en obtenir différents avantages.

Cette dernière mentionne le cas d’un médecin en région qui a programmé le système de manière à envoyer à ses patients les résultats d’examens d’imageries diagnostiques quelques jours après leur réception. « Le médecin s’est accordé un délai pour appeler le patient s’il juge bon de lui fournir d’abord des explications. » Il s’agit d’une économie de temps et d’argent pour les patients éloignés, qui devaient se rendre sur place pour obtenir les résultats. Le médecin peut désormais libérer ce temps pour voir d’autres patients.

La Dre Jayabarathan avait adopté dès 2003 le Practimax Plus, un produit néo-écossais combinant le dossier médical informatisé et un système de gestion clinique hébergé sur un serveur local. Elle a été enchantée à l’idée d’ajouter le DSP de RelayHealth à ses dossiers médicaux et espère que tous ses patients accepteront le DSP. En juillet 2013, elle en avait recruté 500. Elle leur propose de participer au projet lorsqu’ils se présentent pour un rendez-vous. « Entre 70 et 80 % des patients sont d’accord. Certains ne se sentent pas prêts et très peu refusent carrément de mettre leurs données en réseau, aussi sécurisé soit-il. »

La Dre Jayabarathan peut maintenant communiquer les résultats et d’autres données à ses patients par voie électronique, comblant ainsi d’autres lacunes et remplaçant le papier par un moyen de communication plus efficace et fiable. Elle a aussi trouvé de nouvelles utilisations pour la DSP. Elle peut établir des listes de distribution comprenant toute sa clientèle ou des patients choisis et envoyer des messages pour annoncer, par exemple, la fermeture imprévue de la clinique (il y a eu un incendie début juillet), la tenue d’une clinique de soins des pieds, la vaccination antigrippale, etc. La réponse aux services offerts à la clinique augmente grâce à de meilleures communications. »

La transition n’est cependant pas toujours aussi facile. Le collègue actuel de la Dre Jayabarathan partage son enthousiasme pour le soutien informatique, mais d’anciens collègues ne sont pas nécessairement ouverts à des communications aussi importantes avec les patients. Le personnel de soutien doit également acquérir les compétences et l’assurance voulues pour gérer les communications électroniques, par exemple la prise de rendez-vous et les demandes d’information. Dans la clinique de la Dre Jayabarathan, les messages provenant de patients par l’intermédiaire de RelayHealth sont triés par le personnel de soutien, qui les achemine ensuite au médecin ou à l’infirmière. Le service permet aussi aux médecins et aux infirmières d’initier une communication directe. « Quand j’envoie des messages ou des résultats d’examen aux patients, j’active la fonction de communication bidirectionnelle, mais nous avons procédé par étapes afin de gérer le volume de communications. Pour la durée du projet pilote, nous ne sommes pas rémunérés pour le travail en ligne et devons trouver un juste équilibre pour assurer la bonne marche de la clinique. »

Potentiel d’élargissement

Le recrutement des patients ayant été réalisé bien avant l’échéance, le Ministère croit pouvoir analyser les résultats du projet pilote sous peu. Le plan d’évaluation des avantages, établi en fonction des exigences d’Inforoute Santé, permettra de cerner les répercussions du DSP sur les patients, les fournisseurs de soins et le réseau de la santé, ainsi que les leçons apprises qui guideront le lancement du service à l’échelle provinciale. « Le modèle d’évaluation comporte quatre volets, explique Mme Russell : la gestion des maladies chroniques, l’interaction patient-fournisseur de soins, l’utilisation des services de santé et la qualité de ces services. Pour chacun, nous avons déterminé des indicateurs et recueillons actuellement les données. »

Le comité de direction du projet mis sur pied par le gouvernement comprend des membres de la communauté, des médecins de famille et des spécialistes. Les commentaires sur le DSP recueillis auprès de groupes de discussion composés de médecins, de membres de la communauté et d’employés de soutien ont fourni de précieux renseignements grâce auxquels on a pu adapter le DSP, améliorer son utilisation et circonscrire les problèmes à régler. « La participation de citoyens au comité de direction a joué un rôle primordial dans le succès du projet, dit Mme Russell.

La rémunération des médecins pose un défi important. Le Ministère examine différents modes de rémunération pour les communications électroniques. Le projet pilote est censé fournir de l’information pour guider l’élaboration d’une convention-cadre pour les médecins. Pour le moment, la Dre Jayabarathan établit des factures pro forma pour les « consultations DSP » afin de connaître l’incidence du DSP sur les revenus et l’utilisation des ressources de la clinique.

McKesson a personnalisé RelayHealth en fonction des besoins et des capacités de la Nouvelle-Écosse. Aux États-Unis, RelayHealth offre une gamme de fonctionnalités beaucoup plus étendue. « Quand nous avons lancé le service au Canada, nous en avons réduit la portée afin de nous concentrer davantage sur la mobilisation du patient, explique M. Mosher, tout en laissant au client l’option d’ajouter des fonctionnalités. » Le Ministère prévoit déjà ajouter une fonction d’aiguillage ainsi qu’un tableau de bord permettant aux omnipraticiens de jumeler les besoins du patient avec les disponibilités des spécialistes et de réduire ainsi les temps d’attente.

Le financement est un réel défi pour les gouvernements habitués aux grands projets d’infrastructure plutôt qu’à l’achat de services. « Au fur et à mesure que l’informatique en nuage offrira de plus en plus de services, nous remplacerons le financement conventionnel par un modèle ne reposant pas sur le capital. C’est la première fois que notre gouvernement implante une technologie en nuage, qui ne requiert aucun matériel ni logiciel. Les fonds qui nous ont été accordés par Inforoute Santé et le Ministère serviront dès lors à couvrir les charges d’exploitation. Il s’agit là d’un changement très important pour les administrations provinciales et les organisations. »

Dans un livre blanc publié en 2012, Inforoute Santé du Canada a relevé de nombreuses possibilités pour l’informatique en nuage dans les soins de santé, notamment des nuages communautaires pour le soutien de modèles de soins intégrés destinés aux patients souffrant de maladies chroniques. Elle compte également réaliser d’importantes économies, car les applications en nuage représentent environ le tiers des coûts de maintenance d’un centre de données interne conventionnel.

Mme Russell a présenté le projet pilote dans de nombreuses conférences et reconnaît qu’il suscite l’intérêt d’autres provinces. « Je n’ai entendu personne au Canada dire que nous allons dans la mauvaise direction. La recherche a montré que les patients ont quatre attentes face au DSP : consulter les résultats de leurs examens, envoyer des messages à leur médecin, prendre leurs rendez-vous et renouveler leurs médicaments d’ordonnance. Certaines provinces ont implanté des systèmes partiels principalement axés sur des aspects tels que l’éducation des patients. La vitesse d’adoption du DSP de Relay?Health en Nouvelle-Écosse s’explique par le fait que le service répond aux besoins des patients. » ?