Cette étude de cas, préparée par le Forum d'innovation en santé en collaboration avec Mme Johanne Desrochers, directrice associé, télésanté au CUSM, décrit comment le programme de télésanté du CUSM a servi comme point de départ pour le développement d’un réseau virtuel de santé. — Produite dans la cadre du programme 2010 de l'IASI-CUSM

Défi

Dispenser des services de santé spécialisés dans les régions éloignées demeure un enjeu permanent. D’une part, le nombre de spécialistes et de sous-spécialistes est limité et d’autre part, le nombre d’interventions est trop faible pour permettre le maintien des compétences spécialisées. Jusqu’en 2005, les centres hospitaliers universitaires fournissaient des services de consultation aux régions sur une base volontaire. Mais depuis, au Québec, la situation a changé avec la réforme de soins, qui a créé les réseaux universitaires intégrés de santé (RUIS). Maintenant, chacun des quatre RUIS est tenu par la loi de rendre des services spécialisés accessibles à toute personne établie sur son territoire.

Selon Johanne Desrochers, directrice associée de la télésanté au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), la prestation de services peut se faire selon trois modèles. « Nous pouvons amener le patient au spécialiste dans un centre urbain, envoyer le spécialiste en région ou faire de la télésanté, c’est-à-dire fournir des services à distance », explique-t-elle. Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec considère la télésanté comme un volet important du nouveau réseau et a demandé aux quatre RUIS de préparer un plan directeur pour la mettre en œuvre. « Depuis la réforme, notre relation avec nos partenaires du Nord n’est plus la même, poursuit Mme Desrochers. Nous avons toujours dispensé des services sur une base volontaire, mais maintenant, nous avons l’obligation légale de trouver le moyen de répondre à leurs besoins. »

Le programme

La vision du centre de santé virtuel du CUSM mise au point par Mme Desrochers et son équipe a servi de point de départ au modèle du Centre virtuel de santé et de services sociaux, le CvSSS, qui réunissait autour du CUSM toutes les institutions partenaires du RUIS (voir la Figure 1). Le RUIS McGill a formé le comité directeur télésanté et, en 2005, le ministère a octroyé les fonds destinés à la mise en œuvre du CvSSS. Son réseau télésanté se définit comme « un réseau d’organisations qui fournit ou fait en sorte de fournir un continuum de services de télé?santé (clinique, formation, recherche) à une population définie, et s’engage à être tenu cliniquement responsable pour la population servie. »

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Courtoisie de Mme Johanne Desrochers

La télésanté est considérée comme un facteur déterminant dans la mise en œuvre du RUIS, car elle accentue la collaboration entre réseaux partenaires et favorise la coordination des ressources et des activités. Le réseau télésanté relève du RUIS McGill. Le centre d’expertise et de coordination de la télésanté du RUIS McGill, le bras opérationnel du CvSSS, agit comme unique point d’accès aux services et ressources de télésanté. Le comité directeur du RUIS, formé de représentants de toutes les régions visées, a établi les besoins et les priorités. Ainsi, quatre secteurs prioritaires pour l’accès à des services spécialisés ont été retenus : la cardiologie, l’oncologie, la psychiatrie et l’obstétrique.

Quatre comités cliniques RUIS, regroupant des experts des hôpitaux universitaires affiliés et des régions du RUIS, ont reçu le mandat de définir les services spécialisés qui seront offerts dans l’ensemble du CvSSS. Chacun doit établir les sous-spécialités des médecins en poste dans les centres du RUIS et évaluer la pertinence de la télésanté pour les services spécialisés faisant l’objet de demandes de consultation. En outre, les comités doivent fournir une estimation du volume de demandes attendu dans chaque région pour déterminer s’il y a lieu d’offrir ou non un service de télésanté donné. Ils doivent aussi fournir les données qui serviront à évaluer les résultats des nouveaux services.

Les sous-spécialités du centre universitaire doivent appuyer et compléter les services spécialisés déjà offerts dans les régions. « Val-d’Or a peut-être un obstétricien », explique Mme Desrochers, mais ce dernier pourrait demander une consultation avec un sous-spécialiste en grossesses à risque d’un hôpital universitaire, par exemple. »

Le comité clinique se retrouve donc avec une liste définitive de services, très concrète, qui est essentiellement l’horaire des cliniques offertes en télésanté. Le centre de coordination fixe les rendez-vous comme s’il s’agissait d’une demande de consultation traditionnelle (voir la figure 2). Certaines cliniques pourraient dispenser les services dans des hôpitaux régionaux. « Si l’hôpital de Val-d’Or veut élargir ses services d’obstétrique, le comité clinique chargé de l’obstétrique examinera le soutien auquel l’hôpital s’attend de la part du RUIS », souligne Mme Desrochers.

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Courtoisie de Mme Johanne Desrochers

Une fois que les comités ont établi par écrit l’offre de services du centre de santé virtuel, c’est à l’équipe de Mme Desrochers d’en organiser la prestation.

Des ambassadeurs cliniques

La Dre Carolyn Freeman est codirectrice du comité de téléoncologie du RUIS. Elle a commencé à s’intéresser aux solutions réseau en 1999, alors que les problèmes d’accès à la radiothérapie obligeaient les patients québécois à se faire traiter aux États-Unis. « À cette époque, j’ai collaboré avec le ministère pour planifier la demande de ressources en radiothérapie, dit-elle, et cela comportait un volet réseau. Il me semblait logique de pouvoir offrir certains services, surtout d’ordre éducatif, par vidéoconférence. Et c’est avec enthousiasme que j’ai accepté de participer au projet. »

En oncologie, le RUIS travaille avec trois centres de radiothérapie — le CUSM, l’Hôpital général juif et l’Hôpital de Gatineau — pour fournir les services aux patients sur leur territoire. La télésanté élargit la collaboration non seulement pour les soins directs aux patients, mais aussi pour la formation. « Toutes les semaines, le CUSM organise des téléconférences éducatives vidéo auxquelles assistent les médecins des trois centres », ajoute la Dre Freeman. On utilise aussi la vidéoconférence dans les comités de thérapie du cancer, où un groupe multidisciplinaire se penche sur des cas particuliers. « Quand il s’agit de tumeurs très rares, ces réunions sont d’une valeur inestimable, car on ne trouve l’expertise que dans un ou deux centres urbains. »

Pour les traitements, les centres universitaires et régionaux veillent à ce que les patients puissent recevoir le plus de traitements possible près de chez eux. « Ils viennent à Montréal pour la préparation et la chirurgie, mais un volet du traitement est fourni ailleurs », poursuit la Dre Freeman. « La qualité des soins est la même partout, car nous demeurons en contact avec les autres cliniciens et leur fournissons le soutien nécessaire. » Le but du RUIS, comme elle le souligne, n’est pas de centraliser les soins, mais de traiter le patient aussi près de chez lui que possible.

Les médecins traitants doivent remplir une demande détaillée de consultation en ligne, qui est ensuite acheminée au centre de coordination. L’avantage qu’ils retirent de cet effort, c’est de recevoir du médecin consultant un rapport électronique complet une heure après la consultation.

L’utilisation

Le centre de coordination a fait le suivi de certains indicateurs pour mesurer l’évolution des services fournis par le réseau de télésanté du CUSM. Entre 2004 et 2009,

• le nombre de sites participants est passé de moins de 1 000 à 4 500 ;

• le nombre de vidéoconférences est passé de 306 à 1 505 ;

• le nombre de consultations cliniques en vidéoconférence est passé de 53 à 495.

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Source: Résultats préliminaires, le 15 juin 2010, Programme national d’assistance de ventilation à domicile ; Courtoisie de Mme Johanne Desrochers

Entre 2008 et 2009, les consultations cliniques en temps réel ont augmenté de 41 % et les sessions de formation, de 48 %; les activités de formation comptent pour 53 % des vidéoconférences. La figure 3 donne un aperçu des économies de temps et d’argent découlant des services de télésanté d’un programme.

Participation des médecins

Dans le CvSSS, les professionnels dispensent leurs services dans le cadre d’un réseau, et non de l’hôpital auquel ils sont rattachés. « C’est un changement de paradigme important, précise Mme Desrochers. Dans le monde de la télésanté, la concurrence n’a pas sa place : le médecin ne doit plus se considérer comme un prestataire individuel, mais comme un prestataire qui participe à un effort collectif. »

Créer des incitatifs pour attirer les spécialistes vers la télésanté est tout un défi, d’autant plus que le ministère n’autorise pas la plupart des médecins à facturer leurs consultations. « L’avantage, dit Mme Desrochers, c’est que plus nous développons nos services en fonction du travail virtuel, plus nous venons en aide aux régions, et ce, sans déplacer ni les patients, ni les professionnels. »

L’ouverture d’esprit des spécialistes urbains à l’égard de ce nouveau mode de prestation dépend souvent de leur cheminement. S’ils ont passé des fins de semaine à combler la pénurie de personnel dans un hôpital ou travaillé en région éloignée, ils se montrent plus ouverts aux efforts de télésanté, affirme Mme Desrochers. Mais ce n’est pas encore le cas de tous les spécialistes. « Les nouveaux chirurgiens embauchés par le CUSM, à Montréal, se font dire qu’ils feront peut-être des visites en région. Mais aucun chef de service n’a encore dit à ses médecins qu’ils sont obligés d’en faire. »

La stratégie de Mme Desrochers est d’aller de l’avant avec les enthousiastes de la première heure. Elle les a recrutés à même les comités cliniques chargés de définir l’offre de services dans les quatre spécialités retenues par les régions. Dans le but de cultiver un esprit de corps, elle a nommé à la tête des comités des codirecteurs d’hôpitaux différents.

Selon la Dre Freeman, l’engagement des spécialistes urbains est variable. « Les gens ne connaissent pas toujours leurs responsabilités en ce qui a trait aux services. Beaucoup de départements évitent de se faire remarquer, dit-elle. Ils ne tiennent pas vraiment à savoir ce qu’ils pourraient faire de plus, car ils manquent de personnel et c’est à peine s’ils viennent à bout de leur charge de travail actuelle. »

Dans les centres de santé universitaires, les modèles de rémunération mixte permettent plus facilement aux médecins de libérer du temps pour la télésanté, car ils peuvent y consacrer les périodes allouées aux tâches d’administration et d’enseignement sans perdre d’argent. Il est aussi important que l’acheminement du travail soit le plus fluide possible. « Il faut tout mettre en œuvre pour faciliter la vie du patient et des équipes soignantes », conclut la Dre Freeman.

Une vision d’ensemble

Il faut regarder le système dans son ensemble, insiste Mme Desrochers. « Quel type de système d’appels faut-il mettre en place pour que les patients puissent prendre rendez-vous ? Comment s’assurer que les médecins ont le dossier clinique et l’équipe?ment nécessaire à portée de main pour réaliser un examen ? À l’autre bout de la consultation, le patient doit-il être accompagné d’une infirmière ou d’un médecin ? D’un technicien ? Comment acheminer le rapport clinique le plus rapidement possible au médecin traitant ? Comment organiser le suivi ? Qui s’en chargera ? Il faut un lieu physique à chaque bout, un ici pour le médecin et un là-bas pour le patient, ainsi qu’un moyen de communication pour tout le personnel visé. Dans certains cas, il faut des techniciens aux deux endroits. »

Le réseau de télésanté a récemment reçu des fonds gouvernementaux pour embaucher quatre coordonnateurs cliniques, un pour chaque spécialité. Le rôle de ces personnes est de servir de point d’accès unique pour les demandes de consultation, de déterminer l’urgence de chaque cas, de s’assurer que l’information clinique disponible est suffisante pour fixer une date de consultation, et de déterminer quel médecin fera la consultation. « En oncologie, notre coordonnatrice est une infirmière ayant une expertise en télésanté, dit Mme Desrochers, et pour l’obstétrique, il s’agit d’une infirmière-chef en obstétrique. Les deux commencent tout juste à définir et à développer ces nouveaux postes.

Potentiel d’élargissement

Capacité technique

Pour fournir les services, le centre de coordination du CUSM doit accroître non seulement sa capacité de réponse aux demandes de consultation, mais aussi aider les régions à accroître la leur. À cet égard, il donne une formation à distance à tous les utilisateurs de télésanté dans les communautés éloignées. Mais étant donné la forte pénurie de main-d’œuvre, celles-ci optent de plus en plus pour des systèmes dirigés à partir de Montréal.

Financement

Après avoir accepté le mandat de télésanté du CUSM, Mme Desrochers a réussi à obtenir une commandite d’Opération Enfant Soleil pour la mise à niveau des services pédiatriques. Bell a emboîté le pas, avec une commandite de 10 ans pour la construction d’un centre de santé virtuel dans les communautés nordiques. Mme Desrochers a utilisé le modeste budget de fonctionnement fourni par le CUSM pour commencer à offrir des services dans les hôpitaux pour adultes. En 2007, les RUIS ont proposé au ministère un modèle de gouvernance et de financement durable pour la télésanté dans l’ensemble des RUIS, mais celui-ci n’a pas encore été adopté.

Le ministère a financé les coûts d’exploitation du centre de coordination pour l’an 1, mais n’a pas versé aux régions de subventions régulières pour l’embauche de personnel affecté à la télésanté. « On attend des régions qu’elles prennent les fonds à même les économies réalisées sur les activités de leurs établissements — aucune injection de nouveaux capitaux, dit Mme Desrochers. Mais le modèle financier ne facilite pas la récupération d’économies — par exemple, les sommes ne servant plus au transport des patients ne peuvent être réinvesties dans la télésanté. »

L’infrastructure et les processus que le CvSSS s’emploie à mettre en place pour répondre aux exigences des quatre programmes prioritaires encadreront la gestion des futurs programmes de télésanté.

Spécialistes

À l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, on craint que l’accès des Montréalais aux spécialistes soit plus long si ces derniers consacrent plus de temps à la télésanté.

Médecins en région

S’assurer que les médecins en région participent à la conception des programmes et initiatives de télésanté est un défi constant. Selon la Dre Freeman, il est de la plus haute importance de faciliter l’accès de nouveaux participants régionaux aux services spécialisés. « Il faut faire des accommodements sur le plan de la langue et fournir la capacité technique voulue pour présenter la pathologie et l’imagerie se rapportant à un cas », dit-elle.

Le volet éducatif est également très important. Le groupe de psychiatrie offre une série de présentations par vidéoconférences pour que les fournisseurs régionaux puissent y assister en grand nombre. « Nous songeons à faire la même chose en oncologie », ajoute la Dre Freeman.

Le Dr Paul-Émile Barbeau, un omnipraticien qui travaille auprès des Premières Nations en Abitibi-Témiscamingue, dit des consultations en télésanté qu’elles apportent un soutien fantastique à la pratique professionnelle et à la formation médicale continue. « Je discute avec le spécialiste du protocole qu’il choisit et des raisons de son choix. » Ces consultations lui permettent aussi de mieux soigner ses patients, et de les soigner plus rapidement.