Quelle est l’importance de la Loi canadienne sur la santé dans l’élaboration de notre système et quels sont les risques et les bénéfices que comporte l’actualisation de la Loi pour répondre aux nouvelles priorités ? Claude Castonguay s'exprime sur la question. —Rapport d'une allocution prononcée à la conférence 2011 de l'IASI-CUSM

Pour donner un sens à la Loi sur l’assurance-hospitalisation et à la Loi sur les soins médicaux, adoptées dans les années 1960, il fallait absolument établir un système de santé. Il revenait à chaque province de mettre en place des infrastructures (hôpitaux, cliniques et autres installations) et des ressources humaines (médecins, infirmières et autres professionnels de la santé) d’un niveau relativement uniforme afin de réduire les écarts considérables qui existaient à l’époque à l’échelle des quartiers, des villes et des régions. Les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé (LCS) visaient à répondre à un objectif, soit veiller à ce que chaque province établisse un système de santé adéquat. Or, ces simples principes — gestion publique, intégralité, universalité, transférabilité des avantages et accessibilité — ont exercé une énorme influence sur l’élaboration de notre système de santé.

Au départ, le gouvernement fédéral proposait de financer 50 % des coûts moyens des régimes provinciaux, et toutes les provinces ont tiré parti de ce puissant incitatif pour établir entre 1960 et 1970 un régime public fondé sur les cinq principes. En un laps de temps relativement court et sans grande perturbation publique, l’introduction d’un tel programme, qui n’a pas été chose facile, a été un grand succès.

Cependant, les soins de santé ont connu de profonds changements dans les dernières décennies et la plupart des pays occidentaux, sinon tous, les ont adaptés afin d’en améliorer l’accessibilité, la qualité et les résultats, et de contenir les hausses annuelles des coûts. N’ayant pas opéré de changements semblables à ceux d’autres pays pour suivre l’évolution des besoins et des modes de prestation des services, le Canada s’est laissé distancer. Dans l’ensemble, la performance de notre système s’est détériorée par rapport à celle d’autres pays. Et la LCS, parmi d’autres facteurs, a joué un rôle dans cette relative détérioration.

La LCS joue encore un rôle important en ce qu’elle encadre les régimes provinciaux et veille à ce qu’ils respectent grosso modo la même ligne de conduite. Et puisque le gouvernement fédéral participe financièrement aux dépenses en santé, des règles devraient régir ces dépenses. Mais en un certain sens, la LCS a été victime de son propre succès. Aucun parti politique fédéral n’a osé la remettre en question ni y proposer des modifications. Et bien que la santé soit considérée comme une préoccupation prioritaire des Canadiens, elle n’a jamais été un enjeu électoral des campagnes fédérales des 20 dernières années.

Priorité au patient, et non au système

Conformément à son mandat original — établir un système de santé et s’assurer qu’il soit correctement géré —, la LCS met l’accent sur les aspects juridiques et administratifs de la santé. Dès lors, les questions soulevées sont d’ordre juridique et administratif. Par exemple, le projet d’une province est-il acceptable du point de vue juridique ? Quand l’Alberta a voulu ouvrir une clinique « privée », il y a quelques années, on lui a objecté que cela contrevenait à la LCS. Et cette objection a été mise en avant à plusieurs reprises depuis.

Le temps est venu de réorienter la LCS. Celle-ci devrait s’attarder davantage à ce qui est bon et nécessaire pour le patient, et un peu moins au système comme tel. L’exemple offert par le Royaume-Uni depuis les 10 ou 15 dernières années est très intéressant, et le National Health Service, lui-même inspiré du rapport Beveridge, a servi de modèle à notre système. Il faudrait privilégier des objectifs élargis : la qualité des soins, la performance des régimes provinciaux, la délimitation des services à assurer. La couverture des services hospitaliers et médicaux était justifiée au moment de l’adoption de la Loi, mais il était prévu dès le départ que la couverture s’étendrait à d’autres services, notamment les médicaments d’ordonnance et les soins dentaires. Il faudrait modifier la Loi pour qu’elle prenne en compte la réalité, à savoir le fait que la couverture des régimes provinciaux ne doit pas se limiter aux services hospitaliers et médicaux. De même, il faudrait reconnaître le besoin d’innovation. Notre système ne fait pas une place suffisante à l’innovation là où les soins sont dispensés, et cet objectif devrait se refléter dans la législation. En d’autres mots, la LCS devrait se concentrer sur les enjeux actuels de nos régimes provinciaux.

Au-delà des services médicalement nécessaires

Le principe d’intégralité s’appuie sur la notion de services médicalement nécessaires pour établir la couverture. Aujourd’hui, les soins sont fournis par des équipes multidisciplinaires, au sein desquelles infirmières, psychologues et autres travaillent aux côtés des médecins. Ce n’est pas tant l’acte posé par un médecin qui importe, mais la continuité des soins assurée par l’équipe entière. Comme cette continuité n’est pas seulement clinique, mais aussi administrative, il y aurait lieu d’élargir la définition des services médicaux nécessaires, qui a façonné la couverture des soins de santé et qu’on applique encore aujourd’hui.

Dans la pratique, le principe d’intégralité interdit l’exclusion de services hospitaliers et médicaux, qu’ils soient ou non prioritaires. Les nouvelles technologies et manières de traiter les patients sont couvertes à mesure qu’elles voient le jour, mais rien n’est jamais exclu. De toute évidence, il faut maintenant en exclure certaines. Des études montrent que des interventions cliniques désuètes sont encore pratiquées, même après l’introduction d’interventions beaucoup plus efficaces et moins coûteuses pour le système et les patients. Nous devons élaborer de meilleurs guides de pratique pour veiller à ce que les services pertinents soient couverts. Pour survivre, tout système a besoin d’un moyen efficace d’établir les priorités.

L’établissement des priorités

Pour définir les priorités, il faudra se poser plusieurs questions difficiles. Au Québec, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) a récemment recommandé de ne pas rembourser un certain nombre de nouveaux médicaments contre le cancer. L’Institut a jugé que leur coût était si élevé et leurs avantages si marginaux qu’ils ne devraient pas être couverts. Et je suppose que l’INESSS a dû se dire que si des fonds étaient disponibles, ceux-ci pourraient être appliqués, avec des bienfaits nettement supérieurs, au traitement d’enfants atteints de problèmes qui risquent de les affecter pour la vie.

Depuis, beaucoup se demandent pourquoi on refuse aux Québécois l’accès à ces médicaments alors que les patients d’autres pays et même d’autres provinces y ont accès.

Le besoin d’établir des priorités soulève une autre question fondamentale jamais clairement examinée au Canada, soit les droits des patients. La Déclaration universelle des droits de l’homme et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) placent toutes deux le droit à la santé parmi les droits fondamentaux. Ici au Canada, la Charte des droits, tout comme la LCS, n’en font pas mention. À défaut d’une définition claire des droits des patients ou d’un recours formel pour les victimes d’erreurs évitables, les gens se sont tournés vers les tribunaux. Il s’agit là d’un long processus onéreux, qui comporte beaucoup d’incertitude et s’avère peu satisfaisant.

Les familles de patients décédés par suite de l’épidémie de C. difficile à un hôpital à Saint-Hyacinthe ont poursuivi l’hôpital et ont réglé à l’amiable six ans plus tard ; le tiers du règlement a servi à payer les frais juridiques. Un citoyen de l’Ontario insatisfait des temps d’attente pour une intervention dont il avait besoin s’est fait opérer aux États-Unis et a demandé d’être remboursé. Devant le refus de l’État, il a intenté une poursuite et a eu gain de cause. Le cas Chaoulli, qui s’est rendu jusqu’à la Cour suprême, a créé un précédent qui n’a pas eu de suite jusqu’à maintenant, mais pourrait bien en avoir dans l’avenir. On se dirige vers une judiciarisation du système, ce qui n’est pas une bonne chose. Notre système de santé, s’il doit être modifié, devrait l’être par l’intermédiaire de la législation et non des tribunaux.

La LCS, le reflet des enjeux provinciaux

La LCS, ou un équivalent, devrait être maintenue pour moderniser notre système de santé, mais avec les modifications voulues pour faire en sorte qu’elle réponde mieux aux enjeux actuels des régimes provinciaux. Du point de vue du gouvernement fédéral, le maintien de la LCS est justifié. Du point de vue des gens qui dispensent les soins à la population jour après jour, des modifications à la LCS sont justifiées. Comme d’autres pays ont réussi à le faire, nous devrions préserver les valeurs sur lesquelles repose notre système, mais veiller à ce que la LCS contribue à changer et à améliorer celui-ci.