Le Réseau universitaire de santé (UHN), de Toronto est maintenant dans la deuxième année d'un important partenariat en soins de cancérologie avec le Koweït. Fatima Sheriff, directrice, Programme international de santé a la UHN, décrit les exigences de ce genre de projet. —Rapport d'une présentation à la conférence 2012 de l'IASI-CUSM

En janvier 2010, une délégation du ministère de la Santé du Koweït a visité plusieurs centres de santé universitaires en Amérique du Nord dans l’intention de trouver des partenaires pour améliorer ses services de santé. Le ministre a signé un protocole d’accord pour une collaboration en soins oncologiques avec le Réseau de santé universitaire (RUS) de Toronto et en soins cardiaques avec le CUSM.

La vision internationale du RUS

La vision organisationnelle du RUS est centrée sur les retombées mondiales de ses activités, que ce soit des percées médicales, des innovations dans les modèles de soins ou la formation de milliers de futurs médecins étrangers.

Le RUS se sent le devoir moral d’appliquer son savoir-faire considérable à l’amélioration des résultats pour la santé partout dans le monde. Pour être reconnu comme l’un des meilleurs hôpitaux, il doit établir une solide présence internationale et générer des revenus qui seront réinvestis dans le système de santé ontarien afin d’améliorer les soins pour sa population. Des partenariats internationaux en santé sont aussi considérés comme l’occasion d’apprendre et d’améliorer les résultats pour la santé dans l’ensemble du Réseau.

Le programme international du RUS comprend des projets internationaux et un programme international pour patients, qui relèvent d’un comité de direction international et du conseil d’administration du RUS. Parallèlement à ces projets, de nombreuses collaborations internationales sont dirigées par des services et des médecins du RUS.

La stratégie internationale du RUS est de renforcer les capacités locales en établissant des partenariats à long terme. La collaboration avec le Koweït s’inscrit bien dans ce modèle, et l’organisation y voit une étape importante dans la réalisation de sa vision.

Le partenariat

En septembre 2010, le RUS concluait un accord officiel visant à fournir pendant cinq ans des services de consultation au Kuwait Cancer Control Center, l’hôpital oncologique public du pays. Des responsables du RUS ont visité l’hôpital en novembre 2010. Le projet a été officiellement lancé en janvier 2011 et en septembre de la même année, une équipe de huit personnes du RUS s’installait dans des bureaux de l’hôpital.

Fortement soutenu par la direction de l’hôpital et du RUS, le projet est piloté par le Dr Ahmad Al Awadhi, directeur de l’hôpital, et la Dre Mary Gospodarowicz, directrice médicale du Princess Margaret Cancer Centre et présidente de l’Union for International Cancer Control (UICC).

Les objectifs du Koweït

La population est petite, les ressources humaines en santé sont insuffisantes et de nombreux patients se font soigner à l’étranger. Les connaissances cliniques sont adéquates, mais la mise en œuvre des initiatives et la gestion du changement sont ardues. Il existe très peu de structures et de processus organisationnels propices au changement.

L’hôpital a pour but d’offrir des soins de calibre mondial, de fournir aux patients des traitements intégrés et de développer les capacités de recherche, de formation et de perfectionnement continu grâce auxquelles l’hôpital deviendra de plus en plus autosuffisant. À cette fin, il a embauché du personnel, mobilisé la direction et obtenu un soutien important de la part du ministère de la Santé. L’accent est mis sur le perfectionnement continu, l’accès relativement rapide à des services diagnostiques de qualité et les plus récents traitements chimiothérapiques et biologiques. Les services infirmiers sont largement adéquats.

L’hôpital souhaite apporter des améliorations dans plusieurs domaines, dont les soins pour des cancers peu répandus, les dossiers médicaux ainsi que la gestion et les technologies de l’information (données pour les communications, la coordination et les mesures d’amélioration de la qualité), les soins multidisciplinaires et interprofessionnels, la planification, les politiques et les processus pour l’ensemble de l’hôpital, la gestion de la chaîne d’approvisionnement et les processus d’aiguillage pour la communauté.

Les éléments du partenariat

Dans l’accord de partenariat, en vue de réaliser l’objectif de l’hôpital, le RUS s’est engagé à fournir du soutien dans les domaines suivants :

  • Aide pour la planification stratégique
  • Spécialisation clinique et transfert des connaissances
  • Éducation et formation
  • Soins palliatifs et psychosociaux
  • Médecine de laboratoire et pathologie
  • Médecine des rayonnements et autres priorités liées à la gestion et aux technologies de l’information
  • Amélioration de la qualité (dont l’agrément)
  • Relations publiques
  • Soins des patients internationaux

Le projet se déroule principalement au Koweït, mais l’accord mentionnait la possibilité d’envoyer des candidats qualifiés suivre une formation à Toronto et d’offrir à certains patients l’option de se faire traiter à Toronto si l’hôpital ne pouvait fournir les soins complexes requis.

Les objectifs de la première année

Nous avions établi des objectifs clairs pour 2011, notamment des documents de planification, des consultations, le transfert de connaissances et l’établissement des relations. L’équipe de huit personnes en poste à l’hôpital gère les projets en cours, assure la continuité des progrès en vue des objectifs et organise les visites de divers groupes du RUS, dont l’équipe de direction, les responsables des technologies de l’information et de la médecine de laboratoire et les équipes cliniques.

En 2011, le président et chef de la direction du RUS et 11 cadres du Princess Margaret Cancer Center ont séjourné trois semaines au Koweït. Quatre équipes cliniques (comptant jusqu’à 24 personnes par équipe) ont fait le voyage pour donner des démonstrations de soins multidisciplinaires et interprofessionnels pour divers cancers, transmettre les pratiques exemplaires et élaborer des lignes directrices. Ces équipes comprenaient un chirurgien-oncologue, un oncologue médical, un radio-oncologue, un médecin de soins palliatifs, une infirmière, une travailleuse sociale, un planificateur en radiothérapie, un radiothérapeute et un physicien médical.

2012 Sheriff Image 2Au cours de la première année, les équipes du RUS ont effectué 580 consultations auprès de patients, 1 000 visites et examens de cas, 30 téléconsultations à Toronto et 30 chirurgies complexes au Koweït. Elles ont élaboré des outils, des ressources et du matériel éducatif, donné des présentations, fait du travail clinique et lancé des initiatives d’amélioration.

Des médecins du Koweït se sont vu offrir des stages par l’intermédiaire de l’Université de Toronto, et le personnel du RUS a participé au Koweït à plusieurs conférences et ateliers portant sur une variété de thèmes : maladies gastro-intestinales, radiologie, médecine nucléaire, pathologie et soins palliatifs. Le personnel du RUS a organisé à l’échelle du pays une formation en nursing pour la prise en charge des patients atteints de leucémie, testé un nouveau dossier médical, démontré et enseigné aux chirurgiens l’exécution d’une craniotomie éveillée pour les tumeurs cérébrales et établi les critères d’admission pour le nouveau centre de soins palliatifs.

L’équipe du RUS s’emploie maintenant à réaliser les plans convenus pour la première année et à mettre en œuvre les mesures d’amélioration requises en vue de l’accréditation de l’hôpital. L’équipe permanente du RUS au Koweït grandit : un chirurgien, un physicien, un directeur de l’assurance-qualité du laboratoire, trois nouveaux directeurs de projets cliniques et une infirmière clinicienne spécialisée en éducation se sont ajoutés au personnel déjà en place. Cela a réduit de plus de 50 % le nombre de personnes se rendant au Koweït pour des visites. Le personnel koweïtien est maintenant très à l’aise avec l’équipe du RUS et la camaraderie s’installe.

Avec le temps, la confiance grandit et on comprend mieux les besoins du client, ce qui donne lieu à un recadrage des objectifs. Il est important de trouver un juste équilibre entre les besoins locaux et les meilleures pratiques internationales, et d’accepter que la réalisation de certains objectifs pourra être plus longue que prévu.

Les retombées pour le RUS

Plus de 200 personnes du RUS ont participé aux visites au Koweït et en rapportent d’importantes leçons, notamment une meilleure compréhension des attentes et des priorités des patients originaires du Moyen-Orient. Les visites au Koweït sont en quelque sorte des exercices de consolidation d’équipe : les professionnels découvrent les pratiques des uns et des autres, ce qui améliore la communication et la coordination une fois de retour au RUS. De même, l’exercice d’élaboration des lignes directrices cliniques a fourni à ces derniers l’occasion de revoir et de consigner les meilleures pratiques avant de les transmettre aux Koweïtiens. Le directeur médical du Princess Margaret Cancer Centre a lancé un « cancerpédia » qui sera très utile à Toronto ainsi qu’au Koweït et, espère-t-on, dans de futurs partenariats.

Pour le RUS, le travail au Koweït est l’occasion d’accroître sa notoriété au Moyen-Orient et d’asseoir sa réputation internationale. Le projet lui permet non seulement de bâtir l’infrastructure de son programme de santé international et d’acquérir des compétences à titre de conseiller et collaborateur international, mais aussi de formaliser l’infrastructure qui sous-tend le traitement de patients internationaux.

Surtout, le RUS apprend grâce à son programme de santé international quels sont les facteurs déterminants du succès de tels projets.

Accentuer la présence du Canada à l’échelle internationale

Les Canadiens ont été trop humbles et doivent exploiter la marque canadienne. D’autres pays sont inspirés non seulement par notre régime universel de santé, mais aussi par d’autres qualités : nous sommes fiables, diplomates et respectueux, et nous n’avons pas d’intentions cachées. Les organisations canadiennes sont considérées comme de bons partenaires.

Nous sommes des nouveaux venus dans ce domaine, contrairement aux Américains et aux Européens, et les établissements canadiens doivent s’échanger les connaissances acquises dans ces premières expériences. Nous pouvons accroître notre présence en travaillant avec des équipes canadiennes déjà établies sur des marchés d’intérêt.

Le défi le plus grand pour ces marchés est de soutenir le changement de manière que les efforts déployés pour bâtir la capacité locale soient durables. Si, au Canada, nous décidions de concentrer nos efforts sur cet aspect, nous aurions une valeur très recherchée pour nos partenaires étrangers.

Sur le plan politique, les provinces canadiennes doivent trouver un équilibre entre les barrières réglementaires et la sauvegarde des services publics pour les Canadiens. Il y a des moyens d’y parvenir et nous pouvons apprendre beaucoup de l’expérience d’autres pays. 

Dix leçons clés pour les partenariats internationaux

  1. Le travail international exige la participation des hauts dirigeants. Le comité de direction international du RUS comprend quatre vice-présidents (Éducation, Recherche, Ressources humaines et Finance), le chirurgien en chef, le médecin en chef, les directeurs des programmes médicaux ainsi que les premiers vice-présidents cliniques. Relevant du président et chef de la direction du RUS, ce groupe se réunit tous les trimestres. Si le programme international se situe en marge de l’organisation, il n’aura pas l’influence ni le soutien nécessaires à l’interne pour faire bouger les choses.
  2. Le projet international doit correspondre aux intérêts du personnel. Le RUS réalise désormais des sondages annuels pour connaître les intérêts et les priorités du personnel à cet égard.
  3. L’équipe doit se renseigner sur les rapports hiérarchiques, le processus décisionnel et les réseaux d’influence dans le pays d’accueil. Pour cela, l’information doit être ?acquise en dehors de l’organisation partenaire.
  4. Il faut s’entendre sur les indicateurs clés de la performance.
  5. La politesse canadienne peut nuire à la clarté et au processus décisionnel. Les communications doivent être très directes.
  6. L’expérience comporte un degré de risque considérable — paiement, réputation, sécurité du personnel, politique, responsabilité, faute professionnelle, rupture de contrat, taux de change. Pour atténuer le risque, il est essentiel d’obtenir des conseils indépendants, surtout pour les questions juridiques et comptables.
  7. Les décideurs et le public doivent avoir l’assurance que le travail international ne pénalise pas le système de santé ici. Il est important pour eux de savoir que le temps est bien géré et que les fonds publics ne sont pas affectés aux activités internationales.
  8. Il faut maintenir des structures de gouvernance adéquates dans les établissements pour montrer clairement que les fonds publics restent au pays. Le programme de santé international du RUS est distinct des activités hospitalières.
  9. Il est important de faire savoir que les activités internationales ont des retombées positives, financières et autres, pour les établissements et les patients d’ici.
  10. Les participants aux projets doivent être rigoureusement sélectionnés. Outre leurs compétences médicales, ils doivent aussi démontrer un grand intérêt et être et sensibles aux autres cultures.