Cette étude de cas, préparée par le Forum d'innovation en santé avec des contributions des Dres Anita Brown-Johnson et Nadine Larente, et de M. Michel Clair, souligne l'expertise en soins de transition au CUSM et décrit l'adaptation à des placements plus rapide en ressources communautaires rendus nécessaires sous la nouvelle loi. —Une étude de cas préparée dans le cadre du programme 2011 de l'IASI-CUSM

Défi

Les soins de transition au CUSM ont réussi à réduire les blocages des lits de soins aigus. Le défi présent est d’assurer que les problèmes ne réapparaissent pas quand ces patients sont déplacés dans des centres d’hébergement.

Depuis plus d’une décennie, la Dre Anita Brown Johnson est responsable des patients ayant besoin de soins de transition au Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Ces patients ont terminé leur traitement en soins de courte durée mais, ne pouvant retourner à domicile, ils attendent un transfert dans un centre de réadaptation ou de soins de longue durée, ou encore un arrangement pour des soins à domicile. La Dre Brown-Johnson a introduit de nouveaux modèles de soins hospitaliers pour ces patients et examiné les facteurs qui compliquent les transferts.

Solutions hospitalières pour les soins de transition : le modèle du CUSM

Il y a 12 ans, le service de soins de longue durée du CUSM comptait 173 lits, que se partageaient l’Institut thoracique de Montréal, l’Hôpital Royal Victoria et l’Hôpital général de Montréal. Avec le temps, ce nombre est passé à 132, et le service a été renommé « service de soins de transition ». On entendait par « soins de transition » des services médicaux, infirmiers et paramédicaux de qualité supérieure, administrés à des patients en perte d’autonomie qui requéraient des soins cliniques pendant qu’on planifiait la sortie, le soutien psychosocial et l’éducation du patient et de sa famille en vue de faciliter le transfert vers des ressources communautaires plus appropriées.

La Dre Brown-Johnson a exposé quelques mesures mises en œuvre par le CUSM pour réduire la durée du séjour dans les unités de soins de transition.

1. On exigeait des patients qu’ils indiquent un deuxième choix de centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) au cas où la période d’attente pour le premier dépasserait trois mois. Cette mesure a donné lieu à la mise en place de lits de transition (ou placements temporaires) dans la communauté, et a été plus tard adoptée par l’Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et des services sociaux de Montréal (l’Agence), puis étendue à la ville en 2003-2004.

2. On a élaboré une mesure de planification des sorties pour les patients en transition, de manière à trouver des ressources communautaires répondant aux besoins de ces derniers et éviter ainsi une réadmission à l’hôpital, qui se faisait généralement par l’urgence.

3. Le service des soins de transition a mis en place des stratégies de préparation à la sortie, tenant compte des aspects médicaux, psychosociaux et financiers.

4. L’équipe des soins de transition faisait des consultations téléphoniques avec ses partenaires des CHSLD pour faciliter la prise en charge des patients exigeant des soins complexes et réduire les réadmissions évitables à l’hôpital.

5. Le Bureau des soins post-hospitaliers et du soutien communautaire (le Bureau) a été créé en 2008. En collaboration avec les équipes cliniques, les Centres de santé et de services sociaux (CSSS) et l’Agence, il devait uniformiser les processus internes et rationaliser les efforts pour que l’accès aux soins communautaires soit fourni en temps opportun. En plus de soutenir les équipes cliniques en réglant les problèmes liés à la sortie de l’hôpital, l’équipe interdisciplinaire du Bureau vient en aide aux CHSLD et autres partenaires en obtenant des soins spécialisés pour les patients du réseau du CUSM.*

Le CUSM a également donné des formations dans les CHSLD pour aider le personnel à gérer des problèmes qui, par le passé, auraient nécessité une visite à l’urgence, par exemple le déblocage d’une sonde de Foley et l’entretien de tubes d’alimentation.

« Grâce à l’effet combiné de ces mesures, de 2002 à 2009, la durée du séjour dans les unités de transition du CUSM est passée de sept mois en moyenne à deux ou trois mois, précise la Dre Brown-Johnson. Le taux de réadmission était d’environ 1 % en 2009, et le retour à l’urgence deux semaines après le congé d’environ 3 %. Le suivi de ces données se fait à partir du tableau de bord équilibré de l’unité. »

Le CUSM a amorcé ces démarches dans le contexte d’une pénurie chronique de lits de soins de longue durée dans la communauté. Par le passé, il n’a jamais été possible de transférer en un court laps de temps tous les patients ne nécessitant plus de soins de courte durée vers une ressource appropriée. Au cours des cinq dernières années, le Ministère de la Santé et de Services sociaux (MSSS) et l’Agence ont accéléré leurs efforts pour fournir à ces patients des ressources non hospitalières et désengorger ainsi les hôpitaux.

Solutions communautaires

Pour réduire la durée d’hospitalisation de ces patients, la communauté doit pouvoir offrir les services appropriés. En 2006, l’Agence a adopté une série de mesures pour changer radicalement le processus de placement, notamment accroître et améliorer les services de soins à domicile ; diversifier l’offre de soins en établissement ; améliorer les ressources de soins de longue durée, de soins intermédiaires et de soins en établissement au moyen d’un processus d’accréditation et d’inspection ; et fermer progressivement les unités de soins de longue durée dans les hôpitaux.

Transférer la responsabilité

Les directives

Suivant les directives du MSSS, l’Agence a redéfini les critères d’admissibilité aux CHSLD. Auparavant, les patients exigeaient entre une heure et demie et sept heures de soins par jour. Entre 2007 et 2009, on a progressivement relevé la limite inférieure à trois heures de soins infirmiers par jour. Les personnes ayant besoin de moins de trois heures sont peu à peu retirées des CHSLD et placées dans de nouvelles ressources intermédiaires.

Dans les CHSLD, pour répondre à la demande de soins plus lourds, il faut investir davantage dans la mise à niveau des soins et des ressources humaines. Le ministère pilote la transformation depuis le début de 2009. Les ressources intermédiaires, elles, n’ont pas de personnel médical et infirmier, et font appel aux médecins et infirmières du Centre de soins et de services sociaux (CSSS) du quartier.

La mise en œuvre

Entreprise en 2009, la fermeture des unités de soins de longue durée dans les hôpitaux visait à transférer les patients et les budgets aux ressources communautaires désormais élargies. On voulait fermer progressivement entre 800 et 900 lits de soins de longue durée dans les hôpitaux de la région montréalaise. Le Centre hospitalier St Mary’s a servi d’hôpital pilote pour la mise en œuvre du programme 68, rebaptisé depuis le Programme d’hébergement pour évaluation (PHPE). Les mises en congé ont commencé en janvier 2009. Dans les six premiers mois, le transfert de patients a permis à de nouveaux patients de passer plus vite de l’urgence aux lits de soins de courte durée. En 2009-2010, l’Hôpital général juif a fermé ses lits de soins de longue durée, suivi de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (janvier 2010), de l’Hôtel Dieu (avril 2010), du CSSS de Verdun (août 2010), de l’Hôpital de Lachine du CUSM (août 2010), et de l’Hôpital Jean-Talon (décembre 2011). Cette année, ce devrait être au tour de l’Hôpital Royal Victoria et de l’Hôpital général de Montréal (CUSM).

Le 23 août 2011, dans une allocution présentée à la Commission de la santé et des services sociaux M. David Levine, président et chef de la direction de l’Agence, a décrit les progrès accomplis depuis 2006 en matière de ressources pour les personnes âgées de Montréal.

En 2011, 554 lits de soins de longue durée en hôpital ont été fermés. Dans la foulée, on a adopté une mesure faisant en sorte que, dès la fin des soins actifs, le patient était pris en charge par son CSSS et transféré dans les 72 heures dans un CHSLD pour évaluation de ses besoins, où il restait en moyenne 44 jours. Le patient était ensuite placé dans un CHSLD, que son premier choix soit disponible ou non.

À Montréal, le nombre de personnes recevant des soins à domicile est passé de 43 000 à près de 50 000 entre 2006 et 2011, et 600 « places » de soins à domicile intensifs ont été créées. Dans un effort d’amélioration des CHSLD, on a fermé 525 lits et on en a modernisé 3 471, avec une réduction nette du nombre de lits de soins de longue durée en cinq ans. Selon Madame Louise Massicotte, directrice générale adjointe de l’Agence, ces changements étaient nécessaires pour rétablir l’équilibre entre les CHSLD et les autres ressources moins intensives : 1 193 lits de ressources intermédiaires ont été créés et 500 autres sont prévus d’ici la fin de 2012. Tous les établissements doivent être accrédités et le processus d’inspection est terminé à près de 70 %.

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Source : Jacques Fournier, données présentées au colloque sur les ressources intermédiaires organisé par l’AQDR, avec des partenaires, le 9 novembre 2011, à Montréal.

Beaucoup de fournisseurs de soins dans la communauté croient que le gouvernement n’a pas suffisamment investi pour assurer à tous les patients l’accès à des soins adéquats. Comme le souligne M. Michel Clair, président du Groupe Santé Sedna, malgré le fardeau de la maladie toujours plus lourd chez les personnes admises dans les CHSLD, le financement par lit n’a pas été augmenté en conséquence.

« Il y a vingt ans, quand j’étais à l’Association des centres d’accueil, dit M. Clair, on disait que les gens ne pouvaient être admis que s’ils avaient besoin de moins de deux heures de soins par jour. C’est ensuite passé à deux heures et demie, puis à trois. Maintenant, les gens dans les CHSLD ont souvent besoin de quatre heures de soins par jour. En Ontario, les budgets pour les soins infirmiers dispensés dans ces établissements tiennent compte des besoins plus lourds de la clientèle et sont ajustés automatiquement. Mais au Québec, on utilise encore un budget indexé selon les valeurs historiques. »

Évaluant la première étape du projet, l’Agence a constaté que le nombre de patients ayant des besoins spéciaux, (par ex. dus à des problèmes comportementaux) était plus élevé que prévu, et que la communauté manquait de place pour les accueillir. Également, la prise en charge médicale était insuffisante dans plusieurs établissements et on avait l’impression que les bénéficiaires se faisaient trimballer davantage. Sur une note plus positive, il y a eu une réduction globale du temps d’attente pour une place dans un CHSLD.

Les répercussions au CUSM

Le CUSM devrait entreprendre la fermeture des lits dans ses unités de soins de transition cette année. Malgré les transformations du côté de la communauté, dans d’autres hôpitaux où le PHPE a été mis en place, il n’a pas encore été possible de placer les patients dans un établissement approprié dans les 72 heures après que l’hôpital a informé le CSSS ou l’Agence de la fin des soins de courte durée. Le CUSM avait créé des unités de soins de transition pour permettre aux patients en attente d’un placement de libérer les lits de soins aigus.

La Dre Brown-Johnson craint qu’avec la fermeture éventuelle de ces unités, les délais de placement pourraient entraîner la monopolisation des lits de soins aigus et mettre ainsi en péril la capacité du CUSM de dispenser des soins tertiaires et quaternaires. Pour atténuer ce risque, elle a mené une initiative visant à développer un programme de soins par des hospitalistes, sous les auspices de la Division des soins secondaires et en collaboration avec le Département de médecine, le Bureau et l’Agence. Le CUSM explore la possibilité de conserver un petit nombre de lits de soins de transition, qui seraient intégrés à l’unité de soins hospitalistes proposée.

Comme le souligne la Dre Brown-Johnson, la transformation a créé un nouveau problème. « Les patients sont envoyés à l’urgence par les ressources intermédiaires, souvent pour des problèmes d’ordre comportemental. L’équipe gériatrique évalue le patient, fait quelques recommandations, modifie les doses de médicaments, etc., mais l’établissement refuse souvent de reprendre son patient. Il faut donc trouver une solution pour accommoder ce groupe de patients. »

Plusieurs hôpitaux ont acquis une expertise en soins infirmiers et médicaux de longue durée et de transition. Or les postes des personnes possédant cette expertise sont abolis au fur et à mesure que les patients sont transférés dans la communauté. Ces professionnels réussissent rarement à se replacer dans les CHSLD. Par ailleurs, les employés des CHSLD sont aux prises avec une clientèle beaucoup plus difficile à soigner qu’avant. Le modèle de soins par des hospitalistes permet de partager l’expertise en soins de transition avec les CHSLD et de réduire ainsi les lacunes dans les soins.

Redéfinir le rôle de l’hôpital

Même avec la réduction des soins de longue durée, les hôpitaux jouent un rôle important en ce qu’ils facilitent les transferts des patients aux ressources communautaires et veillent à ce que les patients soient dans la meilleure forme possible au moment de leur sortie. La Dre Nadine Larente a dirigé un projet axé sur les personnes âgées, relevant de la Division de médecine gériatrique du CUSM, afin de répondre aux besoins des patients âgés, non seulement dans les unités gériatriques, mais partout dans l’hôpital. « Une approche hospitalière qui veille à ce que l’état des patients âgés ne se détériore pas durant leur séjour à l’hôpital permet à certains de rentrer à la maison ou d’avoir besoin de soins moins importants une fois dans la communauté », dit-elle. Il s’agit de déterminer dès l’arrivée à l’urgence qui sont les patients à risque (fragiles, confus, déshydratés, victimes d’une détérioration générale, de chutes, etc.), puis de prévenir ou de minimiser le délire et le déclin fonctionnel chez ce groupe. Des approches efficaces examinent toutes les facettes de l’expérience du patient à l’hôpital et aident les patients âgés à se déplacer, à s’orienter et à manger.

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Source : ICIS 2009 : Niveaux de soins alternatifs au Canada — Canada 2007-2008

Les hôpitaux peuvent aussi améliorer les transferts vers d’autres types de soins en faisant une évaluation détaillée des besoins, ce qui aidera les ressources communautaires à déterminer où envoyer le patient. Des délais de placement sont souvent attribuables à l’impossibilité pour les ressources communautaires de réaliser les évaluations en temps opportun. « Si nous pouvons leur fournir cette évaluation à l’hôpital, poursuit la Dre Larente, l’Agence pourra y donner suite beaucoup plus rapidement. »

Selon Madame Ann Lynch, directrice associée, Activités cliniques et soins infirmiers au CUSM, la contribution du CUSM à des moyens novateurs de prise en charge de ces patients demeure essentielle. « Nous continuerons à travailler avec nos partenaires cliniques de la communauté pour assurer la prestation des services aux patients exigeant des soins de longue durée, selon l’orientation du Ministère, dit-elle. Pour respecter notre mandat de soins tertiaires et quaternaires, notre système doit fournir ces services à la population de notre territoire, et des efforts supplémentaires sont nécessaires pour que les patients soient soignés en temps opportun, dans un cadre approprié. »