Sir Jonathan Michael, président-directeur général, Oxford Radcliffe Hospital NHS Trust, porte un regard sur l’évolution du système de santé anglais ainsi que les efforts déployés pour y apporter de nouveaux changements. —Rapport d'une allocution prononcée à la conférence 2011 de l'IASI-CUSM

Le NHS a été créé en 1948 par le gouvernement travailliste d’après-guerre. Financé par les fonds publics, il devait répondre aux besoins de l’ensemble de la population, être gratuit au point de service et fondé sur le besoin clinique et non la capacité de payer. Les notions d’universalité et d’intégralité sous-tendaient ces principes. S’il était permis aux médecins généralistes de demeurer des sous-traitants indépendants du NHS, les spécialistes, eux, sont devenus des employés du système hospitalier.

Le système a évolué très rapidement. Quatre ans plus tard, les ordonnances, les soins dentaires et les lunettes n’étaient plus gratuits. Dans les années 1980, on a remplacé les administrateurs par une direction générale dans les autorités sanitaires (« health authorities ») et dans les hôpitaux, mais sur le plan géographique, il y avait encore une structure intégrée, et à l’échelle communautaire, la même organisation commandait et dispensait les services.

Un marché interne dans les soins de santé

Dès le début des années 1990, nous assistons à l’émergence d’un marché interne au sein du système : un organisme commande les services et un autre se charge de les dispenser. En 1991 apparaissent donc les premiers groupes de fournisseurs (les « NHS Trusts »), distincts des autorités sanitaires chargées de la commande des services.

En 1998, l’Écosse, le pays de Galles et, plus tard, l’Irlande du Nord ont pris en main les soins de santé, adoptant diverses stratégies pour que la prestation intégrée des soins relève d’une même autorité ou conseil sanitaire. Depuis, le NHS chapeaute quatre systèmes de santé.

En 2002, l’Angleterre a mis sur pied des groupes de soins primaires (« Primary Care Trusts »), dont la mission était de déterminer les besoins de santé d’une population locale, de commander les services et de dispenser les soins communautaires. Puis en 2004, elle a établi la première vague des NHS Foundation Trust, après d’âpres négociations et l’adoption d’une loi fort contestée que certains considéraient comme le premier pas vers la privatisation de la santé.

 2002 : Les Foundation Trust

Les Foundation Trust sont des entités juridiques indépendantes ne relevant pas du ministère de la Santé ni du secrétariat d’État à la Santé. Chacune possède son conseil d’administration, sa constitution et ses règles de gouvernance, et doit rendre compte à ses membres, soit les patients, la communauté locale et le personnel. Le Foundation Trust reçoit du « Monitor », une autorité réglementaire indépendante, un permis d’exercice définissant les services qu’elle est tenue de fournir. À sa discrétion, elle peut en fournir d’autres. Elle dispose également d’une marge de manœuvre financière et opérationnelle considérable en ce qui a trait à la manière de dispenser les services obligatoires. Elle respecte les normes établies par le NHS et il existe encore un rapport étroit entre la performance contractuelle Foundation Trust et ses revenus.

2008 : Le choix du patient

Poursuivant son évolution, le NHS a établi en 2008 les principes du choix des patients, une initiative censée améliorer sa capacité de répondre aux besoins et aux attentes du patient. Désormais, le patient n’est plus considéré comme un quémandeur qui doit attendre et accepter les soins dispensés par un système qui dicte toutes les conditions de la prestation, mais comme un « client » qui peut s’attendre à un traitement tenant compte de ses exigences.

En 2009, la constitution du NHS a été enchâssée dans une loi qui comportait certains engagements juridiques envers le patient. Ceux-ci se rapportaient aux temps d’attente pour un traitement, au choix du patient, à l’accès au dossier médical, au droit à la dignité et au respect, et au droit de porter plainte et d’obtenir une réponse. La loi obligeait le système à fournir un service satisfaisant en temps opportun ainsi qu’un traitement fondé sur des données probantes et administré dans un environnement salubre et sécuritaire.

La réponse publique

Dans un sondage réalisé en 2008, 73 % de la population considérait que le NHS fournissait un bon service, 68 % qu’il fallait en accroître le financement, 70 % que le NHS était l’une des institutions les plus efficaces et importantes du pays, et 80 % qu’il fallait limiter l’ingérence « politique » dans le NHS. Le NHS obtenait systématiquement 70 % ou 80 % de l’appui populaire. Mais d’autres sondages ont révélé que la population s’inquiétait du manque d’investissement dans le système, de la lourdeur bureaucratique, de la mauvaise gestion aux échelons supérieurs, de la pénurie d’infirmières et de médecins, des temps d’attente et de la salubrité dans les hôpitaux.

L’incidence des réformes sur les coûts et les soins

Le gouvernement travailliste au pouvoir pendant 10 ans a considérablement accru le financement du NHS, qui est passé entre 2000 et 2010 de 45 milliards de livres à 110 milliards (18 % des dépenses totales du gouvernement et 7,5 % du PIB). Durant cette période, la hausse moyenne du budget annuel était d’environ 7 %, contre une moyenne de 4 % sur 60 ans.

Des améliorations remarquables ont été apportées en matière d’accessibilité : on garantissait aux patients un rendez-vous avec leur médecin de famille dans les 48 heures et on s’engageait à ce que 98 % des patients soient examinés, traités et admis ou renvoyées dans les quatre heures suivant leur arrivée à l’urgence. Avec la création du National Institute of Clinical Excellence, on a introduit une médecine fondée sur les données probantes. La National Patient Safety Agency a veillé aux améliorations dans ce dossier, des mesures de promotion de la santé ont été prises, et l’importance de la prise en charge des maladies chroniques a été de plus en plus reconnue.

Au cours de la dernière décennie, il y a eu des améliorations indéniables, touchant entre autres l’expérience du patient, la réduction des inégalités, l’équité en matière d’accès, appuyée par la législation, une réglementation indépendante de la qualité et une meilleure réglementation professionnelle. Dans l’ensemble, le NHS a connu une bonne décennie, du moins en Angleterre.

Cependant, la moitié de la hausse du budget a été consacrée aux salaires, ce qui a entraîné une baisse d’efficacité et de productivité dans l’ensemble du NHS. La rémunération contractuelle qui avait eu cours jusque-là a été remplacée par la rémunération au rendement, qui était en réalité une rémunération à l’acte. Une culture centrée sur les objectifs est apparue, ce qui a inévitablement entraîné un alourdissement de la bureaucratie et une hausse des coûts de gestion.

2010 : La Health and Social Care Bill

Dans la campagne électorale de 2010, les conservateurs réclamaient un meilleur con?trôle pour les médecins et les infirmières du NHS, un meilleur contrôle local sur les services et les normes, une réduction du nombre de cibles nationales et un allègement de la bureaucratie, une baisse de 33 % des coûts de gestion, l’abandon des réorganisations descendantes du NHS et le maintien de la hausse annuelle du budget du NHS.

La plateforme cadrait avec une politique et une philosophie conservatrices favorables à une réforme du service public, visant à augmenter la concurrence à transférer une plus grande part du risque au secteur privé, à assurer une réglementation stricte et indépendante des services, à définir plus clairement les normes et responsabilités ainsi qu’à mieux informer les patients, tout en maximisant le nombre de fournisseurs et en garantissant un accès équitable sans sacrifier l’efficacité et l’égalité. Cependant, le parti a oublié que le NHS a pratiquement le statut de religion au Royaume-Uni.

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Un gouvernement minoritaire a été élu en mai 2010. Les conservateurs et les libéraux démocrates ont formé le premier gouvernement de coalition depuis 1945. Donnant suite aux promesses électorales des conservateurs, le gouvernement a produit un livre blanc sur la réforme du NHS en juillet 2010. Le document était basé sur des principes dont il avait été question dans leur programme, notamment la priorité accordée aux patients, l’évaluation de la performance non plus en fonction des activités et des processus, mais en fonction des résultats cliniques, et le transfert des pouvoirs du ministère de la Santé aux professionnels, plus particulièrement aux médecins de famille. Le Health and Social Care Bill déposé en janvier 2011, après la publication du livre blanc, a introduit des réformes fondées sur le marché et élargi le rôle de l’autorité indépendante de réglementation des fondations (le Monitor) pour y inclure une réglementation économique visant à favoriser la concurrence, à réglementer les prix et à protéger la continuité des services, un peu comme les services à la collectivité sont réglementés au Royaume-Uni.

Concurrence

La Loi prévoyait d’accorder aux patients le choix en ce que a trait à tous les services financés par le NHS d’ici 2014, compte tenu d’un meilleur accès aux données sur la performance des fournisseurs. Elle encourageait la concurrence en introduisant le principe de « tout fournisseur disposé », et cette concurrence pouvait se faire sur la tarification et les prix. Le Monitor établirait une tarification fixe, en précisant un « tarif maximum » par activité, permettant ainsi une concurrence portant sur les prix et la qualité.

Réformes des fournisseurs

La Loi proposait aussi des réformes touchant les fournisseurs du NHS. Ces derniers devaient tous devenir des fondations d’ici 2014. Et ceux qui en étaient incapables devaient être achetés, mis sur le marché ou absorbés par d’autres organisations du NHS. Pour superviser ce processus, on créerait la Provider Development Agency. Les responsabilités de gouvernance du Monitor, qui veillerait désormais à la réglementation économique, seraient cédées aux conseils des fondations. On relèverait le plafond des emprunts commerciaux, des activités et des revenus de source privée imposé à ces dernières. La Loi prévoyait également un soutien aux modèles de participation des employés pour les fournisseurs du NHS et la création d’entreprises sociales pour la gestion des services. Donc, si le fournisseur faisait défaut, le Monitor pouvait protéger l’accès aux services essentiels désignés. La rémunération à l’acte devenait une rémunération au rendement.

Processus des commandes

La Loi renfermait aussi des mesures visant à réformer le processus de commande des services, notamment avec l’abolition des groupes de soins primaires, l’établissement de consortiums locaux dirigés par les généralistes responsables de la commande des services et l’établissement d’un conseil indépendant permettant au NHS de commander les services de spécialistes et de soins primaires et de super?viser les consortiums. Les autorités locales devaient être tenues responsables de la santé publique et de la gestion des conseils de santé et de bien-être en vue de l’intégration des services locaux du NHS, du bien-être social et de l’amélioration de la santé.

Choix et qualité

Une place centrale était réservée aux patients du NHS, comme en témoignent les mesures relatives à l’information et à la capacité de choisir, ainsi que le slogan de David Cameron « Pas de décision me concernant sans moi ». Les patients devaient pouvoir consulter des données sur les services et les résultats, classées par organisation et par clinicien, et choisir leurs médecins — généralistes et spécialistes — ainsi que leur hôpital. Les évaluations des patients seraient enregistrées et accessibles à tous, et la population pourrait participer à une initiative de veille santé. La performance serait mesurée en fonction de résultats probants plutôt que d’actes médicaux.

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La qualité occupait aussi une place importante dans la Loi. Une commission (Care Quality Commission) agirait comme autorité réglementaire indépendante en matière de santé et de bien-être. Tous les fournisseurs du NHS seraient inscrits et recevraient des évaluations bisanuelles de conformité. Il serait important pour eux d’améliorer la qualité, car leur revenu contractuel en dépendrait et des pénalités financières s’appliqueraient s’ils ne répondaient pas aux normes de qualité. Un rapport serait préparé pour chaque fournisseur et serait disponible parallèlement aux rapports de qualité annuels de tous les fournisseurs du NHS.

Coûts

Pour réduire la bureaucratie et les coûts de gestion, la Loi prévoyait l’abolition de l’échelon régional de gouvernance et d’importantes réductions dans les fonctions du ministère de la Santé. Il s’agissait de réduire les coûts de gestion de 45 %. Le financement de la recherche en santé était maintenu. La formation en soins médicaux, infirmiers et paramédicaux allait faire l’objet d’une importante restructuration, afin qu’elle s’intègre davantage à un mandat local.

Ces propositions ont été formulées dans le contexte du budget 2011 du NHS, qui s’élevait à 122 milliards de livres (7,9 % du PIB), dont 110 milliards seraient affectés aux services cliniques. Mais les chiffres ont changé après la crise financière. La hausse annuelle de 7 % qui avait eu cours dans la dernière décennie a été ramenée à 0,1 % au cours des cinq années suivantes. Le NHS devra réaliser des économies de 20 milliards de livres d’ici 2015, ce qui suppose une hausse de productivité et d’efficience d’au moins 4 %.

Certains arrangements contractuels, dont ceux concernant les conditions de travail des employés de l’État, entraînent un glissement progressif des salaires d’environ 1 milliard de livres par année. La hausse à 20 % de la taxe sur la valeur ajoutée a fait grimper les coûts du NHS de 250 millions de livres. Et les coûts transitoires de la restructuration dépassent les 500 millions de livres.

Les retombées politiques

Le processus législatif s’est amorcé avec la publication du livre blanc (Equity and Excellence: Liberating the NHS) en juillet 2010, qui fut suivie de consultations jusqu’en octobre. En réponse aux consultations, le gouvernement a publié un document (Command Paper) en décembre, indiquant qu’il ne tiendrait que très peu compte de la consultation. La Loi a été publiée sans changements majeurs et les démarches d’adoption ont débuté en janvier 2011. Au Parlement, elle a été plutôt mal accueillie par le parti travailliste, les libéraux démocrates et même quelques conservateurs. Le Comité spécial sur la santé l’a vivement critiquée et a proposé des modifications. Enfin, la Chambre des communes en a également contesté plusieurs articles. On s’attend à d’autres contestations à la Chambre des lords.

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En dehors du Parlement, la réponse a été encore plus véhémente. Les membres du parti libéral démocrate, et non seulement les députés, se sont fortement opposés à la Loi, et on s’attend à une opposition généralisée des syndicats de la fonction publique, de la British Medical Association et du Royal College of Nurses. D’autres associations professionnelles (Royal Medical Colleges et NHS Confederation) ont aussi exprimé d’importantes réserves. Le King’s Fund, l’un des meilleurs groupes de réflexion au Royaume-Uni, s’est particulièrement inquiété de l’application accélérée des principes fondés sur le marché et de la réforme très radicale du processus de commande et de responsabilisation au sein du nouvel arrangement. Le groupe estimait que l’article autorisant « tout fournisseur disposé » augmentait le risque de privatisation. Il a souligné qu’il s’agissait de la plus importante réforme de la NHS depuis sa création, en 1948. Il considérait que la concurrence était encouragée aux dépens de la collaboration et de l’intégration. L’adoption de cette réforme dans un contexte financier si restreint semblait également un défi de taille. Doutant que les changements proposés produiraient les résultats souhaités, le groupe a suggéré d’autres changements, qui ont été inclus dans la mise à jour de la Loi déposée devant la Chambre des lords.

En avril 2011, le secrétaire d’État Andrew Lansley a fait l’objet d’un vote de censure et les syndicats de la fonction publique ont réclamé sa démission. Le premier ministre a annoncé une pause dans le processus parlementaire et formé un groupe d’experts indépendant (NHS Futures Forum) pour examiner la Loi et les changements proposés. Cette fois-ci, il a promis d’apporter des changements cela était si nécessaire.

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En juin 2011, le rapport du groupe d’experts a été publié, suivi très rapidement de la réponse du gouvernement, qui comportait plus de 100 modifications à la Loi. En septembre 2011, la Loi a été adoptée par la Chambre des communes et en octobre, elle a franchi une étape importante devant la Chambre des lords. Elle fait actuellement l’objet d’un examen, article par article, par des comités de la Chambre haute et devrait être adoptée vers la fin de 2011. Mais on a déjà déposé 350 amendements devant la Chambre des lords, et il y en aura probablement d’autres.

Les prochaines étapes ?

Dans l’année à venir, d’importants changements seront apportés au NHS en Angleterre. Le secrétaire d’État conservera la responsabilité finale du NHS, malgré les efforts déjà déployés pour s’en décharger. Mais reste à savoir si la responsabilité portera sur l’universalité et l’intégralité du système. Le rôle du ministère de la Santé sera limité à l’établissement de la politique et à l’affectation globale des ressources. D’autres fonctions seront con?fiées à un conseil central « indépendant », aux consortiums locaux responsables de la commande des services, aux conseils locaux de la Santé et du Bien-être et aux fondations.

L’article mentionnant « tout fournisseur disposé » concerne maintenant « tout fournisseur qualifié », une concession à ceux qui s’inquiètent de la commercialisation et de la privatisation des services de santé, et il y aura une seule autorité de réglementation de la qualité et de réglementation sectorielle en Angleterre.

Assurer la qualité et l’accessibilité des services tout en réalisant des économies de 20 milliards de livres en quatre ans sera un énorme défi. De même, on s’interroge encore sur la définition et l’évaluation des résultats en matière de qualité. La sélection de cas par des fournisseurs du secteur non public a de bonnes chances de dénaturer les activités des fournisseurs du secteur public. Et les inquiétudes con?cernant la gouvernance des nouveaux organismes locaux responsables de la commande des services demeurent.

Les réformes n’affecteront pas les coûts des soins de santé pour la population. Mais elles modifieront la relation entre le patient et le généraliste, qui ne représentera plus seulement les intérêts du patient, mais à titre de mandataire, pourra rationner les soins. Jusqu’à maintenant, les généralistes ont pu blâmer les groupes des soins primaires pour les problèmes d’accessibilité. Mais il en ira autrement lorsque ce seront eux qui attribueront les mandats des groupes cliniques. Les patients pourront toutefois choisir les généralistes, ce qui n’est pas le cas actuellement, et ils seront mieux informés en ce qui a trait aux résultats des organisations et cliniques individuelles. Cela devrait améliorer la qualité et le rendement.

La réforme entraînera des changements considérables, et la survie du NHS pourra dépendre d’une injection de nouveaux capitaux, que ce soit une augmentation du financement de l’État provenant des fonds publics, une taxe additionnelle sur la santé, un ticket modérateur ou une assurance-maladie obligatoire. On ne peut non plus écarter la possibilité de restrictions sur l’étendue, la qualité et la quantité de services dispensés par le NHS, ni l’introduction d’une économie de marché dans la prestation des soins de santé en Angleterre.