Rapport de la rencontre du Conseil consultatif des partenaires de l’IASI-CUSM tenue en juin 2011. Parmi les participants : Heather Chalmers, directrice générale, Systèmes de santé, GE Healthcare Canada ; Kathy Megyery, vice-présidente, Stratégie et Affaires politiques, Sanofi ; Cristina Rabasquinho, directrice, Accès pour les patients, Québec/Région de l’Atlantique, Merck ; Joe Sardi, consultant, GE Healthcare ; Marie-France Verdon, chef, Comptes stratégiques, Roche ; et Dale Weil, vice-présidente principale, Solutions intégrées de santé et Solutions pharmaceutiques, McKesson Canada.

 Une occasion à saisir

L’Accord sur le renouvellement des soins de santé se fera en 2014 et, d’ici là, nous avons la possibilité de donner à la politique de santé canadienne une nouvelle direction, tournée vers l’avenir. Les participants ont exprimé leur frustration devant une politique de santé passéiste, qui refuse de reconnaître les changements considérables survenus dans l’équipement, les médicaments et les attentes des patients à l’ère d’Internet. Ils ont aussi reconnu l’ampleur du défi qui se pose, c’est-à-dire trouver le moyen d’aller de l’avant, tout en préservant la durabilité et en appuyant l’innovation.

Le statu quo

Les Canadiens paient chèrement leurs soins de santé, alors que des secteurs entiers tels que les produits pharmaceutiques et les soins à domicile et soins de longue durée ne sont pas pris en charge. La Loi canadienne sur la santé (la Loi) nous empêche d’exploiter des modes de prestation qui ne soient pas centrés sur les soins fournis par le médecin au patient hospitalisé, et ce, même si la plupart des soins sont désormais offerts en amont ou en aval du lit d’hôpital — d’une part la prévention, le diagnostic précoce et la prise en charge de la maladie chronique et, d’autre part, la réadaptation, les soins de longue durée (avec un rôle accru pour les soins à domicile) et l’équipement médical.

On considère la prévention et la prise en charge de la maladie chronique comme l’enjeu central des soins de l’avenir. Pourtant, les cadres de réglementation et de remboursement qui sont imposés par la Loi et qui déterminent le comportement des fournisseurs font obstacle aux produits et services capables de prévenir et de prendre en charge la maladie et, par conséquent, de contrôler les coûts. Résultat : encadrés par un modèle désuet, les malades chroniques sont traités au mauvais endroit par les mauvaises personnes.

Notre structure de financement — exclusivement publique pour les médecins et les hôpitaux et principalement privée pour les médicaments, les soins à domicile et soins de longue durée, les soins de la vue et les soins dentaires — ne convient plus à la majorité des besoins.

D’autant plus que le monopole d’État sur le financement et la prestation des soins écarte la possibilité de concurrence susceptible de réduire les coûts, si bien que le rationnement devient la principale stratégie de contrôle des coûts. La privatisation qui en découle se fait sans contrôle ni réglementation, les provinces et territoires repoussant les limites de la tolérance du gouvernement fédéral, tandis que médecins et patients abandonnent le système public. Des entreprises — et des gouvernements même — inscrivent leurs cadres supérieurs auprès de fournisseurs privés, souvent étrangers.

La politique peut-elle rattraper le retard ?

L’idée de remettre en question le système de santé répugne aux chefs politiques : le statu quo a beaucoup d’amis, alors que le changement a de nombreux ennemis. La position politique demeure réactionnelle : les représentants élus cèdent sous la pression et donnent à un groupe ou à un individu accès à un service donné, mais sans rien changer aux fondements des structures et des processus du système qui nuisent à l’accès.

Étant donné le cloisonnement des budgets provinciaux et territoriaux, qui nuit à une vue globale, il est impossible de chiffrer le coût d’un résultat souhaitable pour la santé. Les budgets (par ex. médecins, hôpitaux, médicaments, soins de longue durée et soins à domicile) sont figés et, par conséquent, réfractaires à l’innovation, malgré l’impact positif qu’une innovation peut avoir sur d’autres budgets. Dans un système axé sur les processus, et non sur les résultats, on n’établit pas de lien entre les paiements aux médecins et hôpitaux et les résultats pour les patients.

Nous manquons également de modèles pour le financement et l’adoption sur grande échelle de nouvelles technologies, telles que la télésurveillance, qui contribuent à l’intégration des soins aigus et des soins communautaires, ainsi qu’à l’efficacité du système de santé et aux résultats cliniques.

La technologie transforme l’interaction entre le système et les gens, et transfère aux patients une grande part du contrôle sur les soins, antérieurement exercé exclusivement par les médecins et les institutions. Mais notre capacité d’exploiter Internet dans des modèles de soins est sérieusement entravée par des inquiétudes exagérées concernant la vie privée et la sécurité. En outre, n’ayant pas évolué, la rémunération des médecins n’incorpore pas des services reposant sur l’utilisation de nouvelles technologies, par exemple les consultations en ligne et la télésurveillance, qui favoriseraient l’accessibilité des médecins. Or, ces derniers s’accrochent souvent à des tâches que d’autres professionnels de la santé seraient à même d’accomplir plus efficacement et à moindre coût.

Par exemple, les consultations par courriel pourraient être un moyen efficace d’améliorer l’accès. Mais en l’absence d’un code de frais établi par le gouvernement, il est impossible de rémunérer les médecins pour ce service. Certains médecins accordent aux patients un nombre établi de communications électroniques moyennant des frais annuels, malgré leurs incertitudes quant à la légalité du service et à leur responsabilité professionnelle. Des contraintes semblables empêchent le développement de la télésanté et des soins à domicile.

Comment dénouer l’impasse ?

On doit bâtir des stratégies audacieuses avec comme objectif l’élaboration et l’essai de nouveaux modes de financement et de prestation des soins. Les structures, réglementations et politiques actuelles imposent d’importantes contraintes quant à l’affectation des budgets de santé, à la répartition des tâches des fournisseurs de soins et à la mise en relation des parties prenantes. Il est grand temps d’expérimenter des modèles reflétant les nouvelles réalités des soins de santé et d’encourager la participation du secteur privé dans certains domaines de la prestation des soins, afin de promouvoir la concurrence, encourager l’innovation, améliorer la qualité et réduire les coûts. À la lumière des possibilités et des besoins actuels en santé, nous devons faire le point sur les services de santé financés par l’État et par le secteur privé.

Les participants ont proposé certaines idées pour sortir de l’impasse :

1. Instituer un programme fédéral, semblable à la Fondation canadienne pour l’innovation ou Inforoute Santé du Canada*, en vue d’appuyer le pilotage de projets sur les modes de prestation des soins. Ces projets permettraient d’évaluer les résultats de méthodes avant-gardistes et de revoir la politique de santé de manière à favoriser l’adoption des modèles qui con?naissent du succès.

2. Pousser les expériences de partenariats publics-privés au-delà des infrastructures matérielles pour y ajouter le crédit-bail mobilier — cela permettrait aux établissements de santé de cultiver des relations durables avec des entreprises et d’élaborer de nouveaux modèles de soins. Le processus d’appel d’offres pour chaque pièce d’équipement nuit à l’efficience et à l’innovation.

3. Déterminer avec plus de précision le coût d’éléments donnés des soins, puis oser établir le prix de divers services. Ce sera un incitatif : une fois le prix d’un service connu, on voudra l’offrir à moindre coût.

4. Afin de favoriser la concurrence sur les coûts et la qualité, puis de soulager les établissements publics, encourager la prestation privée des soins dans le cadre du financement public pour des services relativement simples, comme l’imagerie médicale et la tomodensitographie, les soins ambulatoires et certains soins oncologiques.

5. Proposer des solutions de rechange aux listes de médicaments qui excluent les innovations et songer à indiquer dans les listes des ententes de remboursement qui apportent de la valeur et de meilleurs résultats pour la santé. Certains modèles sont prometteurs, notamment le fait d’inclure dans les listes des éléments de suivi pour responsabiliser les fabricants quant à l’utilisation appropriée d’un nouveau médicament (sous peine de pénalité) et le fait de donner aux payeurs publics une certaine marge de prévisibilité budgétaire. L’approbation initiale des médicaments anti-cancer serait accélérée si ces médicaments bénéficiaient d’une couverture conditionnelle et que les fabricants s’engageaient à réaliser d’autres études et obtenir ainsi des données sur les résultats dans la communauté. Il faut poursuivre les efforts pour raffiner ces modèles et les rendre réalisables.

6. Encourager le gouvernement fédéral à continuer d’augmenter sa part du financement des soins de santé et à indiquer clairement les résultats que les provinces et territoires doivent atteindre, mais aussi permettre à ces derniers d’expérimenter divers modèles de prestation, et peut-être même de nouvelles sources de financement, sans s’exposer à des pénalités. Cela permettrait à certains provinces et territoires de prendre les devants et à d’autres d’adopter à leur convenance des modèles qui ont du succès.

*Programmes établis pour surmonter l’impasse dans la recherche sur la santé et les technologies de l’information en santé.