Par Edward Hillhouse
Les pays riches de la région du golfe Persique s’engageant à améliorer les soins de santé offerts à leurs populations. Edward Hillhouse, directeur, Affaires médicales, universitaires et scientifiques à la Hamada Medical Corporation au Qatar, décrit les collaborations établies avec des partenaires internationaux pour permettre au pays de réaliser ses objectifs. —Rapport d'une présentation à la conférence 2012 de l'IASI-CUSM
Le Qatar, un petit pays très riche, veut mettre fin à sa dépendance au pétrole et au gaz pour se transformer en une société axée sur le savoir. L’émir Hamad bin Khalifa Al-Thani, à la tête du pays, a établi la Fondation du Qatar au milieu des années 1990 pour soutenir le développement d’une économie fondée sur la science. En 2008, le document « Vision nationale 2030 » paraissait et en 2009, le pays a créé le Conseil supérieur de la santé, dont le mandat est de transformer le régime de santé public du pays.
La Hamad Medical Corporation (HMC), premier système hospitalier financé par l’État, fournit 90 % des soins de santé. Le Partenariat pour un système de santé universitaire, lancé en 2011, veille à harmoniser les missions de la HMC, des fournisseurs de soins primaires et des divers établissements universitaires, en vue de favoriser la mise en place de soins interprofessionnels et d’une infrastructure de recherche. L’objectif du Qatar est de fournir les meilleurs soins possible à sa population et de jouer un rôle de leader dans la région du golfe Persique, en incorporant les nouvelles connaissances venues d’ailleurs et en favorisant l’innovation grâce à la recherche.
La Hamad Medical Corporation (HMC)
La HMC gère huit hôpitaux et exploite le service ambulancier ainsi que les soins à domicile. Elle a recruté à l’étranger du personnel clinique et administratif d’envergure. C’est le premier système de santé de la région dont tous les hôpitaux et services ont été accrédités en 2009 et en 2011 par la Joint Commission International (JCI). Trois nouveaux hôpitaux verront le jour dans les années à venir, dont un hôpital de soins tertiaires à Doha, annoncé comme le centre hospitalier le plus moderne du monde. À la fine pointe de la technologie, le site abritera l’Institut de recherche translationnelle — soit la transposition des découvertes fondamentales en applications cliniques — dont l’ouverture est prévue pour la fin de 2015. Fournissant des soins tertiaires et ambulatoires, la HMC possède le plus grand service d’urgences du monde — exception faite de la Chine — avec 600 000 patients par année, soit entre 1 200 et 2 000 par jour. Elle comprend aussi un hôpital cardiaque et cardiothoracique ultramoderne de 114 lits. L’établissement a récemment été agréé par l’Accreditation Council for Graduate Medical Education- International. Dans l’ensemble du système, 90 % des patients se disent satisfaits de l’accès à des soins de qualité.
La HMC travaille avec des partenaires locaux et étrangers, dont des hôpitaux universitaires — Weill Cornell Medical College (Qatar), University of Calgary (Qatar), Qatar University, College of the North Atlantic (Qatar), Primary Health Care Corporation et Sidra Medical and Research Center — et plusieurs centres de santé, d’éducation et de recherche de réputation internationale. Le pays tient vraiment à établir une présence mondiale dans la recherche en santé et recrute activement des experts internationaux.
Je voulais accomplir des choses dont la portée serait mondiale, et c’est pourquoi j’ai posé ma candidature. J’ai été d’autant plus convaincu après avoir vu la vidéoconférence de la directrice générale de la HMC, la Dre Hanan Al-Kuwari, qui proposait une vision claire à laquelle je croyais pouvoir contribuer. Nous avons travaillé ensemble. Je dois avouer que les organisations de santé ont beaucoup à apprendre du milieu des affaires, notamment pour transformer une vision en réalité et élaborer des stratégies et des plans d’affaires pour la mettre en œuvre. Il faut faire appel à des gens d’affaires pour accélérer ce processus dans le secteur de la santé.
Les principaux enjeux du Qatar
Depuis 2004, le nombre de patients Qataris se faisant soigner à l’étranger est en hausse de 230 %. Pour les cas urgents, les patients sont de plus en plus nombreux à se rendre en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Or la population augmente, et ses attentes aussi. La richesse entraîne des modes de vie souvent incompatibles avec de saines habitudes, et le fardeau du diabète et de la maladie cardiovasculaire s’alourdit. Les maladies infectieuses sont répandues, certaines apportées par les expatriés d’Asie, dont ceux du sous-continent indien. Les besoins de prévention du Qatar ne sont pas différents de ceux d’autres pays, mais dans une société où on fait peu d’exercice étant donné la chaleur, où le port de la ceinture de sécurité n’est pas dans les moeurs et où les sièges de voiture pour enfants sont rares, il faudra un changement de culture radical. Le défi, c’est de sensibiliser la population au danger et de prévenir les accidents ainsi que les processus pathologiques.
Le Qatar s’expose également à une pénurie de main-d’oeuvre et sa population ne peut actuellement satisfaire à la demande. Il dépend largement d’infirmières étrangères, la plupart venant du sous-continent indien et des Philippines. Le personnel médical aussi est majoritairement étranger, bien qu’un nombre grandissant de Qataris fassent des études en médecine et commencent à jouer un rôle actif.
Des objectifs et efforts communs
Le défi le plus grand demeure l’application des idées et des plans, et à cet égard, les différences entre le Qatar et le Royaume-Uni sont de taille. Quand j’ai voulu créer un centre médical universitaire à Leeds, j’interagissais avec un établissement issu d’une longue tradition, qu’il fallait décloisonner tout en tenant compte des intérêts des parties prenantes. Aucun progrès n’était possible sans la mise en place d’un système de gouvernance capable d’abolir les cloisons et de mobiliser la génération montante de leaders.
Au Qatar, ces obstacles sont inexistants; la vision est dictée par le chef de l’État et fortement appuyée par le gouvernement qui collabore avec nous et assure le soutien financier du projet. Il est très difficile pour quiconque de soulever des objections, car la vision est établie : « Nous, au Qatar, allons créer un système de santé universitaire. » Au Royaume-Uni, on se demandait plutôt si nous devrions avoir des centres et des systèmes de santé universitaires.
Les partenariats internationaux
Les partenariats sont essentiels au projet. Le pays n’a ni les capacités ni les compétences pour créer par ses propres moyens un système de santé universitaire de calibre mondial. On pourrait sans doute en dire autant de tout système de santé — avec la mondialisation et la transformation des besoins de santé, il serait peu pratique de limiter les systèmes de santé à leurs frontières. Nous établissons des partenariats pour accroître la capacité et l’innovation. Avec le projet qatarien, les partenaires peuvent innover et évaluer les résultats de leurs innovations assez facilement, le système qatarien étant relativement petit, contrairement aux systèmes anglais, qui sont plus dispersés et comportent un grand nombre d’organisations.
Nous mettons sur pied des instituts axés sur quatre maladies principales ainsi que sur les troubles immunitaires et inflammatoires. Ils formeront la base du système hospitalier et y seront intégrés. On s’attend à ce qu’ils simplifient la prestation des soins et centralisent les activités cliniques, éducatives et scientifiques. On s’emploie actuellement à former les comités consultatifs internationaux et à nommer les directeurs de chaque établissement. On cherche ainsi à élaborer et adopter de nouvelles idées audacieuses dans tous les domaines, à transformer tous les aspects de la pratique clinique et à relever ces défis pour la population qatarie tout en produisant des connaissances et des modèles qui pourront servir à d’autres pays confrontés aux mêmes enjeux.
Constitution d’une main-d’œuvre
La main-d’œuvre du système de santé universitaire se compose de personnel recruté à l’étranger, notamment pour les postes de direction, et d’employés qui suivent actuellement des programmes de formation et de mentorat pour se mettre à niveau. On s’attend à ce que le personnel contribue à la mission universitaire : les soins demeurent centrés sur le patient, mais chaque consultation doit être vue comme l’occasion de remettre en cause et d’améliorer les méthodes, l’orientation du patient dans le système, les diagnostics, les traitements et la formation. La définition des indicateurs de rendement est un défi non négligeable, et nous collaborons avec l’Association of Academic Health Centers, à Washington, pour voir si certains indicateurs peuvent servir de points de référence. Les leaders politiques et la société considèrent que le décalage entre l’éducation, la science et les soins n’est plus défendable ni admissible.
Les programmes de résidence contribuent largement à la constitution d’une main-d’œuvre en santé. Beaucoup de nos diplômés vont à l’étranger, et heureusement (pour des raisons culturelles, sociales et économiques), bon nombre d’étudiants qataris reviennent chez eux après leur résidence. Nos hôpitaux reçoivent beaucoup de résidents d’autres pays du Moyen-Orient. Certains restent ici pour faire de la consultation et d’autres retournent dans leur pays d’origine ou vont ailleurs. Les études de médecine de premier cycle au Qatar ont eu plus ou moins de succès : le Weill Cornell Medical College of Qatar a surtout produit des diplômés non qataris — les Qataris pouvant étudier n’importe où, la plupart choisissent les établissements internationaux les mieux cotés.
Concernant les études supérieures, plusieurs universités réputées, y compris celles du Qatar, ont eu des expériences décevantes avec leurs programmes de premier cycle et consacrent dorénavant leurs efforts aux cycles avancés ainsi qu’à des programmes de formation et de recherche dans d’autres pays. Nous trouvons très intéressante l’idée de créer des programmes doctoraux conjoints avec des universités de premier plan, au sein desquels nous mettrions sur pied des programmes de recherche durables, dirigés par les deux établissements.
Toutes les semaines, des revues comme Nature, Science et The New England Journal of Medicine publient des articles d’auteurs travaillant dans des centres de recherche internationaux. La concurrence cède la place à la collaboration, celle-ci offrant un moyen de faire avancer la recherche plus rapidement, et les collaborations sont souvent internationales.
Des avantages mutuels
Les partenariats doivent être mutuellement avantageux. Sinon, ce ne sont pas des partenariats. Il existe d’autres mécanismes, comme les programmes de consultation, pour développer la capacité dans certains secteurs. Dans les partenariats de la HMC, nous fournissons les ressources humaines et financières, et nos partenaires fournissent principalement les ressources humaines et l’expertise. Il est important que toutes les ressources en jeu soient suffisantes et adéquates. Le rôle de l’équipe de direction est crucial, mais le partenariat doit pouvoir survivre à d’éventuels changements dans l’équipe. Il faut donc non seulement mobiliser les gens des échelons supérieurs, mais aussi obtenir l’adhésion de toute la chaîne de gouvernance. La structure de gouvernance doit favoriser cet engagement multiniveau. Cela exige des mécanismes de responsabilisation bien définis et exécutoires, des communications et des mesures du succès.
Dans le cadre du système de santé du Qatar, les partenariats donnent aux établissements étrangers accès à des possibilités de recherche uniques. C’est le cas de Biobank Qatar, une étude populationnelle longitudinale qui cherche à mieux comprendre le matériel génétique de la population locale. Nous avons fait équipe avec l’Imperial College London pour établir les bases de la biobanque et le recrutement de patients est déjà amorcé. Le protocole de recherche comprendra un échantillonnage de tissus sains et pathologiques, le génotypage ainsi que l’imagerie par résonance magnétique; les données uniques qui seront recueillies permettront de voir l’évolution de la maladie dans une population particulière. Un étage entier de l’Institut de recherche transactionnelle sera consacré au projet.
La population du Qatar est particulièrement intéressante en ce qu’elle provient de trois familles : la première du golfe Persique, la seconde de l’est de l’Iran, et la troisième des peuples d’Afrique parlant le bantou. Le taux élevé de consanguinité crée une population relativement pure sur le plan génétique, avec quelques variations qui permettront aux chercheurs d’examiner les génotypes et les phénotypes pour mieux comprendre les processus pathologiques.
Je tiens à souligner que les problèmes auxquels on s’intéresse au Qatar sont semblables à ceux que connaissent le Canada et d’autres pays qui se développent rapidement. Si nous voulons remédier à des problèmes de santé mondiaux tout en tenant compte des besoins en éducation, en main-d’œuvre et en recherche, les pays et les systèmes de santé doivent travailler main dans la main et en partenariat avec des organismes tels que l’Association of Academic Health Centers International. À l’échelle mondiale, nous devons aborder la question de la main-d’œuvre et chercher à créer une main-d’œuvre durable en amalgamant l’expertise internationale à l’acquisition d’un savoir-faire local.
Des relations à long terme
Le Qatar a le vent dans les voiles, ce qui crée des occasions pour des établissements canadiens dont la réputation à l’étranger est excellente, notamment au Moyen-Orient et dans la région du golfe Persique. Les activités qu’on peut y réaliser sont très variées.
Nous devons veiller à ce que les partenariats régionaux et internationaux contribuent à développer l’expertise et la capacité locales. Des centres universitaires de santé d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie ont été bâtis avec l’aide de spécialistes internationaux. Aujourd’hui, nous devons mettre en place des mécanismes de collaboration novateurs, où les échanges d’expertise se font dans les deux sens. Nous avons récemment établi des nominations conjointes avec des organisations réputées, dont Duke Medicine, et des affectations permettant à des universitaires de venir travailler à Doha de trois à cinq ans, d’acquérir de l’expérience à nos côtés, puis de retourner à leur établissement d’attache. Cela permet d’élaborer des programmes cliniques et scientifiques locaux, tout en jetant des ponts entre organisations. Les programmes et les projets réalisés en collaboration pourront alors se poursuivre après le retour des membres de l’équipe dans leur institution d’origine.