Au Canada, la prestation de soins privés existe, mais le rapport entre les régimes public et privé est, à plusieurs égards, différent de celui qui existe dans d’autres pays. Quatre médecins canadiens qui se sont aventurés dans le secteur privé à décrivent leurs activités et leurs interactions avec le régime public. —Rapport d'une présentation à la conférence 2009 de l'IASI-CUSM

Diagnostic du cancer du sein le même jour

Le Dr John R. Keyserlingk est chirurgien oncologue au CUSM et directeur médical du Centre de santé de la femme Ville-Marie, qu’il a fondé en 1994 afin d’offrir un accès rapide aux technologies de pointe pour le diagnostic du cancer du sein. Ce fut la première clinique canadienne à offrir la mammographie numérique, l’échographie 3D et 4D, des biopsies mammaires par aspiration et des résultats le jour même. Le Centre compte maintenant un effectif de 60 employés et 20 oncologues. Le Dr Keyserlingk a fondé la clinique après avoir tenté, mais en vain, d’obtenir de meilleures technologies dans le système public. « Si nous voulions des technologies coûteuses, nous a-t-on, dit, nous devions les payer nous-mêmes. » Aujourd’hui, les activités du Centre se situent à mi-chemin entre les secteurs public et privé : on facture les patients pour les services que le secteur public n’offre pas (par ex. diagnostic le jour même, dossier électronique, suivi multidisciplinaire), mais toutes les chirurgies s’effectuent dans le cadre du régime public.

Le Dr Keyserlingk préconise un système mixte de soins privés et publics, et une transition transparente entre les deux. Les rapports entre le Centre et le régime public, cependant, ont été conflictuels. « L’introduction d’une nouvelle technologie tourne toujours à la bataille juridique, dit-il. Nous pensions que le Centre motiverait peut-être le régime public à introduire des technologies de pointe et de meilleurs modèles de soins, mais cela n’a pas été le cas. » Plutôt, le régime public québécois adopte une position défensive et cherche à empêcher la prestation de ces services ailleurs. « Le secteur public devrait reconnaître ouvertement que certains services dépassent son budget et qu’il est possible de fournir ceux-ci par d’autres moyens. »

Les médecins du Centre travaillent aussi dans le réseau public, mais le gouvernement, dit le Dr Keyserlingk, exerce de fortes pressions pour qu’ils choisissent entre les deux. « Les patientes, elles, croient que nos services complètent le régime public et qu’ils en valent la peine. »

Intégration horizontale entre régimes privé et public

Le Dr Mohamed Nanji, anesthésiste, est associé fondateur et actuel directeur général de Surgical Centres Inc. (SCI), société qui exploite depuis 20 ans des centres chirurgicaux ambulatoires en Alberta et en Colombie-Britannique. Les anesthésistes de l’entreprise travaillent avec des chirurgiens de différentes spécialités. À la différence d’un modèle à intégration verticale, où un centre prend en charge une intervention donnée du début à la fin, SCI est horizontalement intégrée avec le système public. Par exemple, la clinique de SCI à New Westminster a conclu une entente avec la régie régionale de la santé de Vancouver pour l’exécution de biopsies à l’aiguille fine. L’hôpital envoie les patientes à la clinique, qui se trouve juste en face, pour la biopsie, et les pathologistes de SCI envoient les résultats à l’hôpital le jour même. « Grâce à cette collaboration, nous pouvons fournir au secteur public un diagnostic rapide », dit le Dr Nanji.

SCI a su s’adapter aux relations changeantes avec le régime public. Au départ, en 1988, SCI était un centre strictement privé, les patients payaient les frais d’établissement et les médecins facturaient le régime d’assurance maladie. En 1995, le gouvernement fédéral a reproché à l’Alberta d’exiger des frais d’établissement, et le gouvernement albertain a dû assumer ces frais. « Ce fut le début de notre partenariat public-privé », a ajouté le Dr Nanji. Malgré ce qu’on en disait, la Loi 11 a créé un environnement très restrictif pour les établissements privés. « La seule façon d’offrir des services de santé privés en Alberta aujourd’hui, c’est de travailler pour une CSST ou de faire de la sous-traitance pour Alberta Health Services. » Le gouvernement paie le matériel et le personnel des centres privés en fonction des interventions, et les médecins facturent le régime d’assurance maladie.

« Les chirurgiens travaillent dans nos cliniques pour plusieurs raisons : l’environnement est confortable, la satisfaction des patients est très élevée, et l’efficacité et la productivité sont excellentes, ce qui est important pour un médecin rémunéré à l’acte. Les interventions ne sont pas reportées à cause d’une urgence. Nous sommes réceptifs aux commentaires des chirurgiens concernant l’organisation des services. Nous offrons un personnel stable et de l’équipement de pointe. » Ayant également une mission d’enseignement, les cliniques ont conclu des ententes avec divers collèges pour la formation d’infirmières, d’infirmières auxiliaires et de résidents.

Soins de santé préventifs

Le Dr Sheldon Elman est médecin de famille et directeur général de Medisys, une entreprise privée qu’il a fondée à Montréal en 1981 en vue d’offrir des services de santé préventifs pour cadres. Aujourd’hui, Medisys est une société inscrite en bourse qui compte plus de 35 cliniques au Canada, 20 centres d’imagerie et 700 employés. « Nous attribuons notre croissance à l’autonomi?sation de consommateurs avertis qui, au cours de la dernière décennie, ont pris leur santé en main et choisissent désormais leurs fournisseurs de soins », a expliqué le Dr Elman.

Au Canada, les décisions relatives aux soins ne dépendent pas du choix du médecin, mais plutôt de celui du payeur. Par exemple, les médecins de l’Ontario sont payés pour les échographies réalisées dans leur cabinet, mais pas ceux du Québec. « En 1976, j’ai ouvert mon cabinet et acheté un électrocardiographe, qui coûtait environ 3 000 $. À l’époque, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) nous accordait une somme raisonnable pour chaque électrocardiogramme et l’achat en valait la peine. Aujourd’hui, la RAMQ verse 1 $ par ECG, et les médecins n’achètent plus la machine, préférant envoyer le patient à l’hôpital, où l’examen coûte 100 $. Cette décision ne répond pas aux besoins du patient et ne constitue certes pas une économie. »

En 1981, on ne parlait presque pas de prévention, et les gens qui voulaient prendre soin de leur santé n’avaient personne à qui s’adresser. L’année dernière, plus de 16 000 cadres ont consulté Medisys. « Dans le réseau public, la demande de traitement est toujours élevée, et le mieux-être n’y a pas sa place. Dans nos cliniques, les médecins peuvent prendre le temps d’aborder des questions de mieux-être et de prévention avec le patient. »

Accès aux spécialistes

Le Dr Jean Tchervenkov est directeur des Services de transplantation rénale sur donneur vivant de l’Hôpital Royal Victoria, directeur des Services de transplantation pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants et président de la clinique Spécialistes MD (Montréal). Les médecins de la clinique mettent l’accent sur le travail d’équipe et permettent aux patients de se faire traiter plus rapidement. Ils travaillent avec des médecins traitants des régimes public et privé, et avec un groupe privé de radiologistes, établi dans un bureau adjacent. « Depuis que notre clinique privée a ouvert un centre de radiologie, il est devenu plus facile pour l’hôpital de recruter et de conserver des radiologistes », a affirmé le Dr Tchervenkov.

« Plusieurs médecins sous-utilisent le système public et les chirurgiens pourraient certainement faire plus d’interventions s’ils avaient accès aux salles. Comme nous faisons aussi de l’enseignement et de la recherche, nous occupons notre temps, mais la demande des patients n’est pas comblée. De même, nous perdons constamment certains de nos meilleurs chirurgiens, recrutés par des hôpitaux nord-américains qui leur offrent de meilleures conditions d’exercice. »