Par Madeleine Dubé
La ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick, l'honorable Madeleine Dubé, examine les défis auxquels sa province doit faire face et décrit comment le un nouvel Accord pourrait soutenir les changements nécessaires —Rapport d'une allocution prononcée à la conférence 2011 de l'IASI-CUSM
Le renouvellement de l’Accord sur les soins de santé constitue en 2014 fait l’objet de discussions au sein de différents groupes et constitue une priorité pour tous ceux qui s’intéressent au système de santé canadien. Ce dialogue national offre la chance de faire le point sur les défis réels que nous savons devoir relever pour assurer la viabilité du système de santé et, du même souffle, la stabilité des finances des provinces. Le processus de renouvellement nous donne la possibilité d’examiner l’Accord précédent, de corriger les erreurs et de veiller à ce que l’Accord de 2014 reflète les nouvelles réalités tout en tirant parti de nos réussites et de l’élan positif que nous avons pris.
L’Accord de 2004
Le principal objectif de l’Accord de 2004 consistait à combler le manque à gagner occasionné par les compressions imposées par le gouvernement fédéral pendant les années 1990. Les compressions ont imposé des pressions sur la capacité des systèmes de santé provinciaux et territoriaux et sur leur viabilité. L’Accord a rétabli ce financement, mais le montant annuel de 6 % n’a pas permis de faire face à l’augmentation des dépenses en santé dans certaines provinces.
Depuis la signature de l’Accord, le Nouveau-Brunswick a amorcé et soutenu d’importantes initiatives dans presque tous les domaines prioritaires énoncés dans l’Accord. Les réformes des soins primaires comprennent la création d’un réseau de centres de santé communautaire et de pratiques collaboratives ainsi que le lancement d’une stratégie complète sur le diabète et l’élaboration d’une stratégie de prévention des maladies chroniques. Les stratégies sur les ressources humaines ont permis de créer de nouvelles professions, de nouveaux programmes de formation ainsi qu’un champ d’activité optimisé.
L’imputabilité et la divulgation aux citoyens ont été considérablement améliorées grâce à la création du Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick. Dans le domaine de la prévention, la province a lancé en 2006 sa Stratégie du mieux-être, qui se poursuit avec un budget augmenté cette année de 25 %. En 2008, le Nouveau-Brunswick a créé un programme de dépistage et de prévention du cancer du col utérin. En 2009, le Nouveau-Brunswick a aussi annoncé la création d’un programme provincial communautaire de dépistage du cancer colorectal. Les initiatives de gestion des délais d’attente ont réduit de moitié les délais d’attente médians pour les chirurgies et les chirurgies oncologiques. Depuis 2008, nous publions les données sur les délais d’attente pour les chirurgies dans notre registre provincial. Depuis ce temps, le délai d’attente médian pour les chirurgies est passé de 90 à 56 jours ; le délai d’attente médian pour les chirurgies oncologiques est passé de 34 à 14 jours ; le nombre de patients en attente de chirurgies depuis plus de 12 mois est passé de 1950 à 676 ; et entre 2007 et 2010, de 87 % à 94 % des patients ont reçu des traitements de radiothérapie en 28 jours lorsqu’ils ont été prêts à recevoir leur traitement.
S’il est vrai que l’Accord de 2004 a permis de rétablir les niveaux de financement fédéral et d’appuyer certaines des priorités préexistantes de la province, il n’a pas permis d’apporter de vastes changements au système, ce qui était l’objectif global lors de sa signature. L’élaboration prévue d’une Stratégie nationale relative aux produits pharmaceutiques et d’une Stratégie nationale d’immunisation aurait été un moteur de changement positif pour le système de santé ; toutefois, ces stratégies n’ont pas été pleinement développées. Cela constitue le plus grand écart entre les objectifs et les résultats de l’Accord de 2004.
Les médicaments sur ordonnance représentent maintenant la troisième dépense en importance, tout juste après les services hospitaliers et les médecins. Les coûts des médicaments au Nouveau-Brunswick ont augmenté de 9,5 % l’an dernier pour atteindre un peu plus de 180 millions de dollars. Les coûts des médicaments ont doublé depuis 2000-2001 et de plus, la demande pour les vaccins continue aussi d’augmenter en ligne avec la liste de nouveaux vaccins coûteux qui sont maintenant disponibles. Le coût de la distribution et de l’administration des vaccins est une question importante qu’il faudra résoudre.
Revenir sur le passé permet de tirer des leçons importantes dans le cadre de ces dialogues nationaux. Toutefois, il est également important de réaliser que les choses changent beaucoup en 10 ans ; nous devons donc examiner avec réalisme les défis actuels auxquels nous faisons face, y compris : la portée de nos services de santé ; le nombre de travailleurs de la santé ; le vieillissement des infrastructures ; les avancées en sciences et en technologie ; et les contraintes financières.
Grâce à ce dialogue national, le Nouveau-Brunswick, tout comme les autres provinces et territoires, cherchera à obtenir des transferts fédéraux prévisibles, suffisants et stables ; il agira aussi comme chef de file pour faire face aux coûts des soins de santé grâce à des solutions originales. Le Nouveau-Brunswick a une population rurale vieillissante et les services sont répartis sur une région géographique relativement restreinte. J’ai de graves préoccupations quant à la capacité de cette province de maintenir le système actuel. Le Nouveau-Brunswick a clairement atteint un point critique.
Les défis d’aujourd’hui
Le Nouveau-Brunswick est soumis à d’importantes contraintes financières. Cette année seulement, nous prévoyons un déficit de 514 millions de dollars. Au cours des quatre dernières années, la dette nette de la province a augmenté d’environ trois milliards de dollars. On prévoit qu’elle dépassera les 10 milliards de dollars à la fin de l’exercice financier en cours. Les intérêts sur la dette atteignent près de 680 millions de dollars par année. Nous devons faire des économies, tant à court qu’à long terme.
Le fonctionnement de notre système de santé coûte environ 5 800 $ par minute — 8,6 millions de dollars par jour — soit 3 milliards de dollars par année. Et cela pour une province qui compte 750,000 habitants. Ces chiffres comprennent le budget du ministère de la Santé, des régies régionales et des soins de longue durée. Ces dix dernières années, les coûts des soins de santé ont augmenté d’un milliard de dollars. Ces coûts empêchent le Nouveau-Brunswick de soutenir le système d’éducation, de protéger ceux qui en ont besoin, d’aider les entreprises et de préserver la beauté naturelle de notre province. La figure 1 montre l’état actuel des dépenses. D’ici 2015, les soins de santé occuperont la moitié du budget de la province.
Le vieillissement de la population représente un autre défi. Lorsque les gens prennent leur retraite, leurs contributions fiscales et leurs revenus diminuent en même temps et ils ont naturellement besoin de plus de services de santé. Ainsi, juste au moment où nous avons le plus besoin de nos services de santé, la province en aura de moins en moins les moyens. À l’heure actuelle, le quart des lits d’hôpitaux sont occupé par des aînés qui recevraient de meilleurs soins dans un autre cadre. Si nous ne changeons pas nos façons de faire, on prévoit que d’ici 2021, tous les lits d’hôpitaux du Nouveau-Brunswick seront occupés par des aînés qui pourraient avoir de meilleures conditions de vie dans un autre cadre, à l’extérieur du système hospitalier.
La population est dispersée sur toute la superficie de notre province principalement rurale. Nous avons du mal à recruter des spécialistes dans les hôpitaux, alors que la nécessité d’embaucher des médecins découle davantage de la nécessité d’établir des horaires de travail raisonnables que de la demande des patients. Aujourd’hui, les jeunes médecins veulent travailler en équipe, avoir accès à de bons équipements et avoir une bonne qualité de vie. Il est temps de revoir l’ancien modèle et de nous demander sérieusement ce que nous pouvons améliorer.
Lors d’une étude récente du Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick, environ 60 000 Néo-Brunswickois ont affirmé ne pas avoir de médecin de famille. Une enquête du Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick révèle qu’à peine 30 % de ceux qui ont un médecin de famille peuvent obtenir un rendez-vous le même jour ou le lendemain. Ce chiffre est de 15 % inférieure à la moyenne nationale. Seulement 22 % des Néo-Brunswickois peuvent avoir accès à leur médecin de famille en tout temps.
Lorsque les gens ne peuvent pas consulter leur médecin de famille, ils engorgent les salles d’urgence et les cliniques sans rendez-vous, ce qui impose des coûts supplémentaires au système. Ces statistiques me font croire qu’il existe des problèmes fondamentaux quant à la façon dont notre système est structuré et que des fonds supplémentaires ne permettront pas de régler ces problèmes. Pour constater tout cela, il suffit d’examiner les mauvais résultats du Nouveau-Brunswick dans le domaine de la santé.
En dépit de l’augmentation constante des investissements en santé, le Nouveau-Brunswick n’est pas une province en santé. Nous comptons le plus haut taux d’obésité au pays et nous avons l’un des taux d’activité physique les plus faibles. Les taux de mortalité en raison du cancer du poumon, du cancer colorectal et du cancer du sein dépassent la moyenne nationale, comme le font les taux de tabagisme, d’hypertension artérielle, de diabète et de suicide. Dans 72 % des cas, les lits d’hôpitaux sont occupés par des patients atteints d’au moins une maladie chronique.
Il est évident que les Néo-Brunswickois doivent se réapproprier leur santé, tout en établissant un système axé sur l’accès et la prévention. Personnellement, nous pouvons commencer à apporter de petits changements afin de faire une grande différence. En ce qui concerne le système, de nombreux changements peuvent se faire grâce à une amélioration des soins de santé primaires.
Nous devons aussi étudier sérieusement la façon dont nos ressources sont investies afin de veiller à ce que les bons services soient fournis de façon aussi sécuritaire que possible, au bon endroit et au bon moment. Les services des hôpitaux sont-ils adéquats?
Plus que de l’argent
Faire face à ces défis nécessitera des changements au système de santé plutôt que des modifications ponctuelles mineures, comme nous l’avons vu auparavant. Les défis auxquels le Nouveau-Brunswick fait face sont considérables, mais nous avons plusieurs forces et possibilités. Nous avons toujours été fiers de jouer un rôle clé afin d’entreprendre des changements sociaux essentiels. En fait, Bernard Lord, ancien Premier ministre du Nouveau-Brunswick, a joué un rôle de leader dans la rédaction de l’Accord sur la santé de 2004.
Bien que notre population soit dispersée, la petite taille de la province facilite la création de partenariats avec des intervenants clés. Grâce à une petite population et à des dirigeants expérimentés, la province a la possibilité d’apporter des changements radicaux. Notre province a déjà subi des changements majeurs afin de protéger ses richesses culturelles grâce à l’adoption du programme Chances égales pour tous et du bilinguisme officiel.
Nos expériences nous ont appris que les changements majeurs s’accompagnent généralement de controverse, mais il est temps d’éliminer l’écart entre les fournisseurs et les administrateurs des soins de santé et de collaborer pour effectuer les changements requis. Ces enjeux ne concernent pas que notre province. Au Canada, tous les gouvernements ont du mal à fournir des services adéquats en milieu rural ; le Nouveau-Brunswick est la deuxième province du point de vue de la « ruralité », 49 % de sa population vivant en milieu rural. Tous les gouvernements au Canada sont conscients des défis liés au vieillissement de la population ; le profil d’âge du Nouveau-Brunswick est plus élevé que presque partout ailleurs, et la province accueille peu d’immigrants pour combler les écarts démographiques. Tous les gouvernements au Canada savent que l’essentiel pour que la population soit en santé et productive réside dans les principaux déterminants de la santé.
En 2014, l’Accord sur la santé ne pourra pas seulement consister en un versement d’argent pour conserver un statu quo qui n’est pas viable ni acceptable. Le Nouveau-Brunswick prend des mesures pour s’attaquer à ses défis et demande à ses citoyens de faire de même. Le Nouveau-Brunswick est en pleine discussion publique majeure au sujet des soins de santé primaires. Nous avons créé un cadre de travail portant précisément sur la gestion des maladies chroniques parce que nous savons qu’elles représentent la majorité des coûts des hôpitaux. Nous avons entrepris les premières étapes de notre projet de création de dossiers électroniques de santé et des groupes pilotes de médecins utilisent déjà cet outil pour offrir des soins de meilleure qualité et plus efficaces à leurs patients. Il importe de continuer le transfert vers une augmentation des investissements dans la prévention et la promotion de la santé.
Nous travaillons tous très fort afin de remettre nos finances en ordre. Mais nous ne pouvons pas le faire seuls. Nous devons travailler de concert aux niveaux fédéral et provinciaux afin de bâtir un Accord sur la santé qui permettra les changements qui assureront la viabilité du système.
Collaboration et flexibilité
Un accord sur la santé n’est pas seulement une question d’argent. Il offre aux différents gouvernements faisant face à des défis communs la possibilité de se réunir et de prendre des mesures coordonnées avec l’appui du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral peut faire certaines contributions pour accélérer la prise de mesures dans les domaines de priorité communs. Par exemple, les mesures législatives du gouvernement fédéral en ce qui concerne la qualité des aliments constitueraient un appui positif important aux provinces et territoires.
De plus, dans le nouvel Accord sur la santé, le Nouveau-Brunswick cherchera le terme « flexibilité » et son esprit. Nous avons appris que les ententes de financement, qui reconnaissent le caractère commun des provinces et des territoires et respectent les défis propres à chaque province et territoire, ont bien fonctionné par le passé. Il importe de fournir un financement ciblé, s’il est prévu dans l’Accord, avec une souplesse suffisante pour permettre aux provinces et aux territoires de répondre aux besoins les plus urgents de leur population, et pas seulement pour respecter les priorités du gouvernement fédéral.
Nous reconnaissons aussi le fait que nous devrons rendre des comptes au sujet de l’argent que nous dépensons. Dans le cadre de l’Accord de 2014, nous sommes prêts à participer à un processus de responsabilisation avec le gouvernement fédéral, en particulier dans les domaines où il pourrait consentir de nouvelles dépenses. Pourtant, nous sommes de plus en plus conscients que tous les partenaires doivent rendre des comptes si nous souhaitons que nos systèmes de santé continuent de nous soutenir. Le gouvernement fédéral doit rendre des comptes à la population qu’il a la responsabilité constitutionnelle de servir. Les fournisseurs de soins de santé doivent rendre des comptes, non seulement pour fournir des soins de qualité, mais également pour garder en tête les coûts des services qu’ils offrent. Les citoyens doivent eux aussi être responsables de manière à avoir et à maintenir une bonne santé grâce à une alimentation équilibrée, un niveau adéquat d’activité physique et une volonté de suivre les conseils des fournisseurs de soins afin que les maladies soient moins susceptibles de s’aggraver. Les soins de santé sont universels au Canada, mais ils ne sont pas gratuits. En faisant la promotion de notre santé et de notre mieux-être, nous contribuons aussi à veiller à ce que les services puissent être offerts lorsque nous en aurons besoin.
Le Nouveau-Brunswick cherchera sûrement à faire reconnaître l’augmentation progressive de 6 % du Transfert canadien en matière de santé et le maintien de tous les autres transferts à un niveau adéquat et prévisible. Le produit final des négociations de 2014 doit permettre aux provinces de se tourner vers l’avenir, et de déployer les efforts qui permettront d’améliorer la santé de la population et à responsabiliser les citoyens afin qu’ils fassent des choix de vie qui leur les aideront à rester en santé.
Selon moi, les provinces et les territoires travailleront en collaboration avec le gouvernement fédéral en vue d’établir un consensus au sujet du nouvel Accord sur la santé. Un accord bien structuré et assorti des bons objectifs contribuera à l’établissement au Nouveau-Brunswick d’un système de santé viable pouvant faire face aux pressions actuelles liées aux nouvelles technologies, aux coûts des médicaments et aux impératifs cliniques. Le système doit soutenir un processus de prise de décision fondé sur des preuves et favoriser une vision qui prenne en compte l’ensemble du système, plutôt que les priorités ou les intérêts individuels.
Dans 10 ans, nous voulons que le Nouveau-Brunswick soit doté d’un système de santé tel que les indicateurs de la santé de la population seront au moins équivalents à la moyenne nationale. Nous savons que pour y arriver, le système de santé doit être plus proactif, plus axé sur les patients, plus orienté vers le travail d’équipe, plus efficace et efficient, plus fondé sur les résultats et plus en mesure d’utiliser la technologie à son avantage. La vitalité à long terme du système de soins de santé mérite notre protection.
Le système de santé fait face à des défis considérables partout au pays. Je suis con?vaincue que, si nous travaillons ensemble, nous pouvons améliorer sa qualité et sa viabilité pour les générations à venir.