Par Richard E. Scott
Les technologies de l’information et des communications révolutionnent les types de partenariats internationaux possibles. Richard E. Scott, directeur du Bureau de la stratégie mondiale de santé électronique à l'Université de Calgary, se penche sur les facteurs à considérer pour investir judicieusement et examine les obstacles qui s’opposent à l’exploitation du plein potentiel de ces technologies. —Rapport d'une présentation à la conférence 2012 de l'IASI-CUSM
La santé électronique à l’échelle mondiale n’est pas encore une réalité. Nous en connaissons certains éléments fondamentaux et avons des idées quant à la manière d’en tirer des bienfaits pour la santé. Mais pour le moment, il s’agit de procéder avec intelligence et prudence afin d’éviter tout gaspillage d’efforts et de fonds.
Mais la santé électronique est une réalité bien vivante et consiste en quatre activités distinctes :
- La télésanté, c’est-à-dire des interactions à distance entre patients et médecins ou entre cliniciens, pour des consultations en régions éloignées, à domicile ou autres.
- L’informatique de la santé, à savoir la collecte et le stockage de données, la conversion de celles-ci en connaissances et la dissémination de ces connaissances aux utilisateurs. Elle comprend les dossiers médicaux, les dossiers de santé personnels, les systèmes de surveillance et les systèmes d’aide à la décision.
- L’apprentissage en ligne, soit l’application des outils de télésanté et d’informatique de la santé à la formation continue des professionnels.
- Le commerce électronique, qui a trait au paiement des services de santé.
Avantages de la santé électronique
La santé électronique permet d’aplanir les disparités régionales dans l’accès à des soins de qualité. Elle élimine la distance entre édifices d’un site hospitalier, régions d’une province ou d’un pays et parties du monde. Elle contourne également le problème du décalage temporel grâce aux communications synchrones et asynchrones. Elle favorise l’accès à l’information, à l’éducation et aux services. Enfin, elle facilite l’uniformisation des processus et, ce faisant, améliore la cohérence et la qualité des soins, comme le font les guides de pratique clinique.
La santé électronique pourrait promouvoir l’égalité des soins à l’échelle mondiale. Ce sont dans les pays où le fardeau de la maladie est le moins élevé qu’on trouve actuellement la plus importante main-d’œuvre en santé, et vice-versa. Des organisations internationales et des leaders de pays en développement reconnaissent le potentiel de la santé électronique, mais d’importants facteurs doivent être pris en compte dans la mise en œuvre des programmes.
Confronter la réalité
Comment les gens communiquent-ils ?
Des régions du sud et du sud-est de l’Asie, de l’Afrique subsaharienne et de l’Amérique latine seraient les plus susceptibles de bénéficier de la santé électronique mondiale, mais il faudrait d’abord résoudre la question des communications. Au Canada, les services de santé électronique passent par Internet, et même ici, nos établissements de santé peinent à obtenir des bandes passantes suffisantes pour que les connexions soient rapides et fiables.
La figure 1 montre le pourcentage de ménages branchés à Internet selon les régions : celles qui ont les plus grands besoins sont les moins bien servies. Dans la figure 2, qui donne un aperçu de la pénétration des technologies de l’information et des communications (TIC) dans le monde, on constate que les téléphones mobiles ont envahi le marché. Dans les pays en développement, le coût mensuel d’un abonnement mobile est d’environ 5 $, selon la parité du pouvoir d’achat (PPA), contre 200 $ environ pour l’abonnement à un réseau de bande passante fixe. En Afrique, 53 habitants sur 100 sont abonnés à un fournisseur de téléphonie mobile et moins de 5 % des ménages ont un accès Internet.
Établir la capacité de connexion d’une région en prévision des services de santé électronique est un préalable essentiel, et des outils existent à cette fin, mais ne sont pas utilisés aussi souvent qu’ils le devraient.
Qui faut-il connecter ?
On s’éloigne de plus en plus de la vision paternaliste des pays développés et en développement, mais reste que bon nombre de pays n’ont pas la capacité voulue pour bâtir leur réseau de santé. L’apprentissage en ligne leur fournirait un soutien important, et l’on pourrait mettre en con?tact les centres de santé universitaires de pays développés avec les professionnels de la santé et les étudiants de pays en développement.
Pour ajouter aux effectifs du personnel soignant, il serait possible de fournir directement les services de médecins, infirmières, psychologues, nutritionnistes et autres employés grâce aux outils de la télésanté. Mais l’objectif est de bâtir leur capacité jusqu’à l’autosuffisance et, à partir de là, les connexions les plus importantes pour les soins de santé électronique deviennent celles de la région en question.
Qu’est-ce qui est approprié ?
Les programmes de santé électronique doivent être adéquats sur le plan technologique, optant pour la solution technologique la plus conviviale possible tout en répondant aux critères établis et en respectant les conditions sociales, culturelles, environnementales et économiques du milieu en question. Ils doivent aussi promouvoir l’autonomie. Une technologie appropriée est simple à mettre en œuvre et à utiliser, exige peu de ressources d’exploitation et de maintenance, et est durable et écologique.
Les interactions prévues par le programme de santé électronique doivent être acceptables pour le milieu visé, c’est-à-dire qu’elles doivent respecter les traditions et les croyances concernant la santé et la maladie, les attentes relatives au système de santé et les modes de prestation des soins déjà offerts. Toute personne qui travaille en santé électronique dans un milieu différent du sien devrait suivre une formation de sensibilisation culturelle.
Enjeux territoriaux
J’ai reçu l’appel d’un ancien étudiant maintenant établi à Karachi, me demandant de participer à une conférence téléphonique concernant l’empoisonnement potentiel d’un citoyen canadien. J’ai accepté, mais cela n’a pas été simple. À l’université, mes supérieurs s’interrogeaient sur l’accès au dossier du patient. Au Canada, nous avons bataillé ferme pour assurer la protection des renseignements personnels des patients dans la mise en place du dossier de santé informatisé. Nous avons adopté des règles strictes en matière d’accès. En tant que toxicologue, je ne suis pas autorisé à consulter les notes du dossier de santé informatisé, pour évaluer un empoisonnement possible.
La télémédecine à l’échelle mondiale doit s’accommoder des restrictions imposées dans certains milieux et reconnaître que l’accréditation et la formation des professionnels de la santé sont parfois différentes des leurs. La prestation des soins de santé électronique à l’échelle mondiale et parfois même locale se heurte à de nombreux obstacles, dont le permis d’exercer, la rémunération, la responsabilité professionnelle, la déontologie, les normes cliniques, la responsabilité relative aux décisions cliniques, les champs d’activité, la protection des renseignements personnels, la qualité, la collecte et la gestion des données.
Stratégie
La santé électronique mondiale est prometteuse mais, avant d’aller la proposer ailleurs, n’oublions pas que nos propres efforts dans ce dossier ont coûté cher et causé bien des soucis. Le coût d’opportunité est loin d’être négligeable. Parmi les rapports vérifiés préparés par trois administrations provinciales et l’administration fédérale, aucun n’a chaudement recommandé l’adoption du dossier de santé informatisé ou du dossier médical informatisé.
Sur le plan stratégique, il faut savoir clairement où l’on va et, surtout, pourquoi on y va. En consultant des documents de stratégie en matière de santé électronique préparés par divers pays, j’ai remarqué qu’on explique abondamment le but à atteindre, mais très peu les raisons pour lesquelles la direction empruntée est viable ou appropriée. Ce n’est qu’une fois la direction bien comprise et justifiée qu’on peut déterminer la politique et l’architecture de système à mettre en place pour parvenir au but. Il ne faut pas se laisser absorber par l’impératif technologique.
Selon moi, la priorité en santé électronique mondiale consiste à renforcer les capacités et à cibler les régions du sud et du sud-est de l’Asie, de l’Afrique subsaharienne et de l’Amérique latine. Dans l’intervalle, nous utiliserions la santé électronique pour fournir directement une expertise, pourvu que les questions de politique et de compétence se règlent. À l’heure actuelle, pour contourner les problèmes de compétence, nous offrons des consultations considérées comme un deuxième avis médical, et le fournisseur de soins local conserve ainsi la responsabilité de son patient. Bien qu’il s’agisse d’une solution viable et adéquate, cela demeure un pis-aller.
Nous devons maintenant faciliter la cohérence des politiques intergouvernementales. Nous en sommes à jeter les bases d’un système qui sera là pour longtemps. Nous devons y apporter toute la réflexion voulue, sans précipitation, pour réussir du premier coup.