Les réformes du système de santé des Pays-Bas ont été entreprises en 2006 et les choses ont eu le temps de se stabiliser. Gert Westert, co-éditeur du Dutch Healthcare Performance Report examine l’incidence des réformes sur les soins et décrit les activités de surveillance. —Rapport d'une allocution prononcée à la conférence 2011 de l'IASI-CUSM

Le médecin généraliste (MG) est la pierre angulaire et la porte d’entrée du système de santé néerlandais. Le pays compte quelque 8 500 MG, répartis assez également entre les régions. La plupart ont une clientèle de 2 300 patients, et 99 % des gens ont un MG attitré, qu’ils ont eux-mêmes choisi. Le MG agit comme gardien du système de santé : on doit passer par lui pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste et des soins hospitaliers.

Très efficaces, les MG prennent en charge près de 96 % des cas ; seulement 2,5 % des patients sont dirigés vers l’hôpital. Le nombre d’hospitalisations évitables pour des maladies comme l’asthme, la maladie pulmonaire obstructive chronique et l’insuffisance cardiaque est inférieur aux normes internationales. Les MG néerlandais utilisent depuis longtemps les lignes directrices de pratique clinique et, la plupart prescrivent et traitent en fonction de celles-ci bien qu’il y a des variations importantes. Les délais et l’accès aux soins sont excellents : 90 % des personnes interrogées dans les sondages se disent satisfaites du caractère opportun des soins de courte durée, dont les soins des MG et de l’urgence.

Le taux d’utilisation des soins de santé est nettement plus faible aux Pays-Bas que dans d’autres pays. Comme il était déjà peu élevé au moment de l’amorce des réformes, la communauté scientifique avait conseillé au gouvernement de ne pas recourir à des moyens dissuasifs, tels que le paiement d’une quote-part ou d’autres restrictions à l’accès.

Les réformes : la quête d’efficacité

Le contexte des réformes a commencé à se mettre en place à la fin des années 1980, lorsqu’un comité d’experts dirigé par Wisse Dekker, ex-PDG de Philips, a fait état de l’inefficacité du secteur de la santé et du besoin d’innover dans ce domaine. Le rapport a été le point d’ancrage de nos discussions sur les réformes, mais il a tout de même fallu attendre 20 ans pour que le Parlement adopte un ensemble de mesures allant en ce sens. En 2004, le ministre de la Santé a déclaré qu’il serait possible d’accroître considérablement le potentiel de performance du système de santé si, à partir d’un contrôle centralisé de l’État, on pouvait instaurer un système décentralisé de concurrence réglementée ou « gérée », pour reprendre un terme emprunté à l’économiste Alain Enthoven.

L’assurance obligatoire

Avant les réformes, les personnes dont le revenu dépassait un certain niveau (environ 35 % de la population) devaient souscrire une assurance privée, le reste de la population ayant accès à l’assurance-maladie de l’État. En 2006, aux termes de la nouvelle Loi sur l’assurance-maladie, tous les citoyens néerlandais âgés de 18 ans et plus devaient se procurer une assurance privée et souscrire une assurance-maladie répondant aux exigences de l’État. Il est possible de contracter une assurance complémentaire, mais celle-ci n’est pas nécessaire et ne couvre pas grand-chose.

Les assureurs sont tenus par la loi d’accepter tous les demandeurs, mais le choix des fournisseurs est laissé à leur discrétion. On souhaitait par cette mesure favoriser chez les fournisseurs une concurrence sur l’accès, la qualité et le prix. Le gouvernement joue ici un rôle plutôt effacé, et en évitant la « contrôlite » et la planification centrale, il cherche à encourager l’innovation de rupture, la réceptivité du système de santé et les soins centrés sur le patient.

Tous les Néerlandais paient une prime mensuelle de 100 euros (avec participation de l’État pour les personnes à faible revenu), et les employeurs versent également 100 euros par employé. Pour les gens sans emploi, l’État paie la part de l’employeur. L’argent est mis en commun dans un fonds et versé aux assureurs suivant une formule d’égalisation des risques qui détermine la compensation en fonction des différentes populations couvertes.

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Source : Dutch Healthcare Performance Report 2010 (RIVM, 2010)

La figure 1 montre le modèle de concurrence réglementée. Le cercle autour des éléments indique que toutes les activités se déroulent dans un environnement réglementé. Il y a trois marchés à l’intérieur des cercles : le marché de l’assurance-maladie, le marché de l’achat de soins de santé et le marché de prestation de soins de santé. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de compression budgétaire.

Analyse de la performance

En 2006, avant l’adoption des réformes, le Parlement tenait à ce que le ministre de la Santé ait mis en place deux choses : un site Web pour aider le public à trouver de l’information sur les fournisseurs et à en choisir un ; et un rapport indépendant sur la performance du système. Le ministre a demandé à l’Institut de santé publique de produire, à l’échelle du système, une analyse indépendante de la performance des soins de santé en matière de qualité, d’accessibilité et de coûts. Le rapport devait prendre en compte le point de vue du fournisseur et du patient, réaliser une analyse évolutive des tendances et fournir des comparaisons internationales. Il devait s’intéresser à un ensemble limité d’indicateurs et de thèmes spéciaux, dont l’efficacité et l’incidence du changement au sein du système.

Le choix des indicateurs de performance

En premier lieu, il fallait définir le cadre de performance du système et établir la distinction entre les indicateurs relatifs à la santé de la population (qui fait l’objet d’un autre rapport) et les indicateurs de l’état du système de santé, ce que nous cherchions à mesurer. À Paris, nous avons travaillé avec l’OCDE (figure 2) et retenu quatre besoins déterminés par l’Institut de médecine — soit le maintien de la santé, le rétablissement, la prise en charge d’une maladie ou d’une invalidité, et les soins de fin de vie — et examiné chacun selon trois dimensions — qualité, accès et coûts. Pour produire le rapport, il faut remplir les cases de la section inférieure avec des indicateurs valides. Nous avons choisi 125 indicateurs capables de s’adapter à l’évolution du système, d’être corrélés aux politiques de santé et d’apporter une vue d’ensemble.

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Source : Dutch Healthcare Performance Report 2010 (RIVM, 2010)

Nous avons accordé la priorité aux indicateurs utiles pour établir des comparaisons internationales, car celles-ci retiennent l’attention du gouvernement. Chaque rapport contient un chapitre sur les améliorations qui contribueraient, ce qui détermine les activités de recherche pour les années à venir et apporte une continuité à notre travail. Par ailleurs, nous invitons le ministre de la Santé à écrire la préface : c’est un moyen efficace d’inciter ce dernier à s’engager à donner suite aux résultats.

L’incidence des réformes

Publié en 2010, le troisième Rapport sur la performance des soins de santé indiquait que les coûts augmentent à un rythme équivalent à celui observé dans d’autres pays européens, que l’accessibilité est un point fort du système et que la qualité n’est pas toujours à la hauteur. On y examinait, entre autres, les indicateurs suivants : coordination des soins, postes difficiles à pourvoir, dépenses, temps d’attente, mortalité évitable, variation dans les prix de certaines interventions et partage du processus décisionnel. La performance des Pays-Bas était comparée, si possible, à celle d’autres pays. La figure 3 montre les résultats comparatifs de la coordination des soins. L’exercice est utile en ce qu’il fait ressortir les secteurs où la réforme ne produit pas les résultats escomptés.

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Source : Dutch Healthcare Performance Report 2010 (RIVM, 2010)

Par exemple, la figure 4 montre qu’il existe encore d’importants écarts dans les prix exigés par les hôpitaux pour des interventions données. Si on introduit la concurrence et que les assureurs achètent les services à leur discrétion, on s’attendrait à ce que les écarts diminuent en peu de temps. Or, cela ne s’est pas encore produit.

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Source : Dutch Healthcare Performance Report 2010 (RIVM, 2010)

Un certain nombre d’indicateurs montrent des écarts dans la qualité. Les lignes directrices en matière d’ordonnance sont suivies par les MG dans 49 % à 77 % des cas, et les erreurs médicales, les infections de plaie et le ratio normalisé de mortalité hospitalière varient de façon assez importante selon les établissements. Entre 7 % et 30 % des accouchements se soldent par une césarienne non prévue, et les cas les plus nombreux s’observent le plus souvent dans de petits hôpitaux non universitaires. De toute évidence, il faut accorder plus d’attention aux écarts dans la pratique médicale, et ce besoin figure parmi les priorités. Le prochain rapport se concentrera sur les écarts dans la qualité.

Cinq ans plus tard…

Le but du rapport est d’évaluer dans quelle mesure les réformes dégagent les résultats souhaités. Selon les sondages d’opinion, les taux de satisfaction publique pré- et post-réforme sont les mêmes. Après cinq ans de concurrence réglementée, la concurrence entre assureurs est vive, les regroupements d’entreprises ont été nombreux et les primes ont baissé de 2 %, sans indication de sélection des risques par les assureurs. Ces derniers ont donc perdu de l’argent. Le risque qu’ils assument n’est pas très élevé et les écarts de prix qui persistent indiqueraient que la concurrence sur les prix attendue ne se produit pas ; ils savent qu’ils seront compensés après le fait. On parle maintenant d’accroître leur risque.

Les assureurs n’ont pas livré une concurrence très vive sur la qualité. Il est très difficile de produire une information sur la qualité apte à aider les patients à faire des choix, et la participation des fournisseurs est essentielle. La mise en place de ce processus prend jusqu’à 10 ans. Sur les sites Web, les patients peuvent évaluer leurs fournisseurs et leurs soins. Récemment, des assureurs ont indiqué dans les journaux qu’ils ne feraient plus appel, pour les cas de cancer du sein, à certains hôpitaux dont les résultats en matière de qualité laissaient à désirer.

L’avenir

Le nouveau gouvernement libéral a récemment soulevé la question de la quote-part et revoit aussi le contenu du régime d’avantages de base, qu’il est politiquement risqué de modifier. Il est question de con?centrer les soins à la fine pointe de la technologie et d’introduire un nouveau mécanisme de financement pour les hôpitaux, qui serait fondé sur des groupes de maladies apparentées et entièrement axé sur la performance et les résultats.

Réaliser la transition d’un système de santé dans lequel la planification s’opère de façon centrale et doté de règles très strictes vers un marché de la santé fonctionnel est un exercice complexe qui prend du temps. Mais même avec une solide réglementation, chaque année les fournisseurs et les assureurs gagnent du terrain en matière de négociation. Par exemple, 75 % des interventions en milieu hospitalier se négocient librement avec les assureurs, contre 10 % en 2006. Les parties prenantes doivent pourtant s’y habituer et investir dans la recherche d’information pour obtenir la meilleure valeur.

Avec la lente croissance du PIB et la faiblesse de l’euro, la pression est de plus en plus forte, tout comme la tentation pour le gouvernement d’intervenir. Cependant, l’actuelle ministre de la Santé a dit qu’elle donnera au marché de la santé le temps de s’habituer à son rôle et qu’elle le laissera suivre son cours. Si la ministre intervient, d’autres parties prenantes se retireront.