Continuité, communication et communauté : Quelques pensées à propos du Rapport du Commissaire de la santé et du bien être sur la performance du système de santé du Québec

Le Commissaire de la santé et du bien être publie chaque année depuis 2009 un Rapport d’appréciation de la performance du système de santé et de services sociaux au Québec, produit d’après des données de sondages, de l’analyse et des consultations. Celui de 2014 nous offre 15 rapports régionaux et un rapport sur la performance globale de la province. Un groupe de 258 indicateurs forment la base de l’analyse et certains sont comparables à des indicateurs des autres provinces canadiennes et des pays qui participent aux enquêtes du Commonwealth Fund. L’évaluation vise la capacité du système de santé et services sociaux d’atteindre ses buts, qui sont de réduire l’incidence, la durée et les effets négatifs des maladies et des problèmes sociaux.

L’analyse traite de la disponibilité des ressources (financières, humaines, matérielles); de l’innovation et la transformation (utilisation des technologies par les médecins); de l’utilisation de ressources et l’ajustement aux besoins de la population (services adéquats tels hospitalisations liées à des conditions propices aux soins ambulatoires, facilitée d’entrée); de la mobilisation de la communauté (e.x. dons et bénévolat); et de la viabilité du système (balance entre dépenses administratives et celles vouées aux soins). Le Québec figure assez bien dans cette comparaison, malgré le fait que parmi les provinces canadiennes, c’est au Québec que les dépenses de santé par habitant sont les plus basses. Lorsqu’on tient compte de la capacité humaine et matérielle, les ressources disponibles sont tout de même relativement élevées, surtout en ce qui concerne les médecins spécialistes et les appareils de haute technologie pour les tests diagnostiques. Le système québécois présente une excellente performance quant à l’équilibre entre la qualité technique et la productivité, de même qu’entre la qualité technique et l’accessibilité.

La continuité et la coordination : Nos grandes faiblesses

La performance du système souffre d’un manque de continuité et de coordination entre différents intervenants et différents niveaux de soins. Le Québec obtient des résultats préoccupants ou très préoccupants sur la majorité des indicateurs dans ce domaine, à la fois vis-à-vis l’Ontario et l’Alberta et contre les pays participant au sondage du Commonwealth Fund. Seulement 62,4 % des québécois étaient, en 2013, inscrits auprès d’un médecin de famille. Les personnes ayant des grands besoins de santé n’ont que rarement une seule personne pour prendre en charge l’ensemble de leurs besoins. L’accès aux soins de routine, au suivi, et à la prise en charge suite à une chirurgie sont problématiques. Selon les plus récents résultats de l’enquête internationale sur les politiques de santé du Commonwealth Fund, le taux de personnes qui considèrent que c’est difficile d’obtenir des soins médicaux le soir, la fin de semaine ou un jour férié est de 27 % au Royaume-Uni, 57 % en Ontario et de 61% au Québec.

Dans l’analyse qui relie innovation et transformation avec le niveau de continuité, la performance du Québec est presque critique. Le Commissaire souligne que « Compte tenu des ressources disponibles, la performance en innovation et transformation, de même qu’en continuité et coordination, devrait être supérieure. » Le Québec a un résultat de 71,9 % d’atteinte de la balise en continuité et coordination et il se classe au 3e rang sur les 3 provinces pour lesquels ces indicateurs sont disponibles; l’Alberta (97,6 % d’atteinte de la balise) et l’Ontario (96,1 % d’atteinte de la balise) obtiennent des résultats beaucoup plus élevés.

Réponses des personnes présentant les plus grands besoins de santé; Rapport 2014 du CSBE

Réponses des personnes présentant les plus grands besoins de santé; Rapport 2014 du CSBE

Le Québec arrive au dernier rang par rapport aux autres provinces canadiennes dans l’utilisation par les médecins des technologies de l’information. Le Commissaire conclut que :

« Le faible niveau d’utilisation des dossiers électroniques et des technologies de transferts d’information par les médecins est particulièrement flagrant et semble influer sur la coordination entre les différentes étapes et les divers intervenants, ce qui ressort comme une faiblesse importante du système. Cela s’observe dans la coordination entre les spécialistes et les médecins de famille, ainsi que dans la coordination des soins à la sortie de l’hôpital à la suite d’une chirurgie. »

Et à Montréal …

CSBELe rapport compare ensuite la performance des différentes régions de la province. La performance du système à Montréal obtient des résultats faibles au niveau de l’efficience, l’adaptation aux besoins de sa population, et la globalité des services et des soins. Montréal semble souffrir plus que d’autres régions de la province dans la facilité d’entrée au système de santé. Si on compare les deux villes les plus importantes, toutes deux des centres universitaires, à Montréal 64.9% des gens déclarent avoir un médecin régulier, tandis que ce taux s’élève à 81.8% à Québec; 13.8% de la population Montréalaise n’a pas de médecin régulier parce qu’elle n’en a pas trouvé, contre juste 5.2% de la population à Québec. Les Montréalais ont aussi une faible utilisation des services en CLSC (265 pour 1 000 habitants, contre un maximum de 511 en Abitibi et 360 en Estrie).

Dans l’analyse régionale de l’utilisation des technologies de l’information par les médecins, des variations importantes se révèlent. C’est évident que l’Estrie a fait des efforts dans ce domaine bien au-delà de la moyenne québécoise et que la culture de la santé électronique peut bien s’épanouir parmi les médecins québécois. Les résultats en Estrie dépassent même ceux des provinces les plus performantes au Canada. Malheureusement, ce virage n’est pas encore évident à Montréal, du moins selon les données de 2010 utilisés dans ce rapport.

Rapport 2014 du CSBE

Rapport 2014 du CSBE

Question communauté

Le rapport du Commissaire inclut une analyse de ce qu’il appelle la mobilisation de la communauté. Cette mesure tient compte de deux indicateurs. Sur le premier, la proportion des dons dans le budget des établissements de santé d’une région, Montréal a une avance importante sur toutes les autres régions, avec 1.81 % des budgets provenant de dons (contre 0.27 % à Québec et 1.01% en Estrie, les deux autres centres universitaires). Par contre, les dépenses pour les organismes communautaires par habitant à Montréal se situent en bas de la moyenne provinciale, à 59.10 $

Le commissaire n’analyse pas ce résultat, pas plus que le rapport n’examine les différences régionales. De l’avis de l’auteure du présent compte rendu, le résultat laisse croire à d’importantes différences culturelles entre la métropole et les régions. Les centres de santé universitaires favorisent à la fois le soutien et la confiance de la communauté et servent de phares autour desquels les gens gravitent naturellement lorsqu’ils ont besoin de soins. La capacité des Centres de santé et de services sociaux (CSSS) d’assurer un accès suffisant aux soins de santé primaires est mise en péril pour diverses raisons, de sorte qu’un grand nombre de personnes se retrouvent ballottées entre des fournisseurs de soins ponctuels qui ne disposent pas d’incitatifs et de moyens les encourageant à communiquer (électroniquement ou non) avec d’autres services de santé. De toute évidence, il faudra de nouvelles stratégies pour améliorer l’accès, la continuité et la coordination des soins dans le contexte montréalais, ce qui impliquera sans doute un travail de proximité beaucoup plus important de la part des établissements de santé que les Montréalais reconnaissent déjà, de même qu’un effort accru de la part des CSSS en vue de bâtir de véritables communautés d’usagers et de fournisseurs de soins de tous les niveaux.
— Susan Usher