Cette étude de cas, préparée par le Forum d'innovation en santé avec des contributions de la Dre Thao Huynh, cardiologue, et Mme Caroline Boudreault, infirmière spécialisée en essais cliniques, CUSM, et M. Sébastien Désormeau, gestionnaire, Division des programmes de soins de santé, Boehringer-Ingelheim, décrit comment des cardiologues québécois, en partenariat avec Boehringer-Ingelheim, mettent en place des protocoles fondés sur des lignes directrices, du matériel d’éducation pour les patients et des soins coordonnés. — Produite dans la cadre de la série : "Partenariats pour améliorer la performance du système de santé"

L’enjeu

Au Québec, environ 70 000 personnes souffrent de fibrillation auriculaire (FA), soit une arythmie cardiaque entraînant un risque accru d’insuffisance cardiaque, d’AVC et de mortalité.

Selon la Dre Thao Huynh, cardiologue au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), seulement 25 % des patients atteints de FA sont adéquatement protégés contre un AVC et près de 8 000 personnes atteintes de FA sont hospitalisées tous les ans dans les établissements québécois. Elles se retrouvent souvent à l’urgence en raison de palpitations cardiaques inquiétantes ou de saignements.

La Dre Huynh reconnaît qu’il y a d’importantes lacunes dans le traitement de la FA. En règle générale, les patients consultent plusieurs professionnels de la santé et prennent des médicaments, dont des anticoagulants, qui exigent un étroit suivi. Les communications entre les professionnels responsables de la prise en charge du patient sont peu fréquentes et sous-optimales. La Dre Huynh croit qu’une meilleure coordination des soins réduirait de 20 % les visites à l’urgence. « Je vois de trois à cinq patients atteints de FA par jour et j’avoue qu’il s’agit d’un groupe très difficile à soigner, dit-elle. L’urgentologue, le médecin de famille et le cardiologue se renvoient la balle, mais personne n’assure la liaison. »

En 2011, la Dre Huynh a contacté Boehringer Ingelheim, une société pharmaceutique ayant une longue expérience de la santé cardiovasculaire, pour discuter de mesures susceptibles d’améliorer les soins pour ce groupe de patients. Elle a proposé de mettre au point des algorithmes et des protocoles de traitement et de créer un réseau de partage des connaissances pour encourager l’adoption de soins fondés sur des lignes directrices en cardiologie et en médecine générale. Dans le but de réduire les visites à l’hôpital, elle envisageait la création d’un poste d’infirmière pivot, qui serait chargée de coordonner les soins et d’éduquer les patients. « Partout dans le monde et dans de nombreuses spécialités, nous constatons que les programmes dirigés par des infirmières sont plus efficaces que ceux dirigés par des médecins, qui n’ont pas toujours le temps de s’occuper de l’éducation des patients et de la coordination des soins. »

Boehringer Ingelheim avait déjà collaboré avec le CUSM dans le cadre du programme « Mieux vivre avec une MPOC »1 et de l’étude de cohortes prospective et multicentrique CanCOLD, tous deux dirigés par le Dr Jean Bourbeau, à l’Institut thoracique de Montréal. La société pharmaceutique s’intéresse particulièrement à la FA, car elle a récemment développé un anticoagulant qui présente une alternative à la warfarine. C’était pour elle l’occasion idéale de transformer la prise en charge de la FA au Québec, une démarche qui pourrait par la suite se répandre partout au Canada. Elle a fourni les fonds nécessaires pour soutenir le projet pendant deux ans. Son objectif final : favoriser la promotion de bonnes pratiques médicales dans la prise en charge des patients atteints de FA, telles qu’établies par les lignes directrices canadiennes et les critères de remboursement de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Le programme

La Dre Huynh, en collaboration avec Caroline Boudreault, l’infirmière spécialisée en essais cliniques qui travaille avec elle au CUSM depuis 17 ans, a commencé à recruter des centres de santé universitaires et des hôpitaux pour le projet. « Nous avions déjà des contacts avec les départements de cardiologie grâce à AMI-Québec,2 le réseau que nous avions créé précédemment, » précise Mme Boudreault.

Le programme a été baptisé FA-CILITER, l’acronyme de Fibrillation Auriculaire dans une Clinique Intégrée pour LImiTer les évènEments thRombo-emboliques. Le comité exécutif qui a été formé comprenait des représentants de quatre facultés de médecine du Québec et de leurs centres affiliés (le CUSM, le CHUM, la Cité de Santé de Laval et l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie du Québec), du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et de l’Hôpital du Sacré-Coeur.3 Un groupe de professionnels de la santé de neuf autres centres hospitaliers de la province ont également participé au projet : l’Hôpital général du Lakeshore et l’Hôpital général juif de Montréal, CHA-Enfant-Jésus et l’Hôtel-Dieu de Lévis ; et les centres hospitaliers régionaux de Saguenay, Trois-Rivières et de Saint-Georges de Beauce.

Lancé officiellement en février 2012, le programme FA-CILITER s’était fixé comme but de traiter 4 000 patients atteints de FA. Il comportait trois grands axes :

  1. Adoption d’un guide de prise en charge des patients atteints de FA dans les 13 centres de soins participants, élaboré en fonction des plus récentes lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie en matière de fibrillation auriculaire, et prise en compte des critères de remboursement de la RAMQ.
  2. Création d’un réseau de partage des connaissances pour les établissements et la communauté, comprenant un site Web, une boîte à outils et des programmes éducatifs pour les professionnels de la santé et les patients.
  3. Intégration d’une infirmière pivot dans chaque centre, chargée de l’éducation des patients et de la coordination des soins pendant une année, conformément au guide de traitement et sous la supervision d’un médecin. L’infirmière fait la liaison entre les divers professionnels de l’équipe soignante.

Dans chaque centre participant, une infirmière spécialisée en cardiologie a été formée pour ce rôle de liaison. Elle rencontre les patients après un diagnostic de FA afin d’évaluer leurs besoins et leur fournir du matériel éducatif, et fait un suivi aux trois mois pour déterminer si le patient gère correctement sa maladie. Les résultats du suivi et tout problème éventuel sont communiqués au médecin traitant et au pharmacien.

Une partie importante des fonds octroyés par Boehringer Ingelheim est consacrée au soutien des infirmières. Les quatre grands hôpitaux ont chacun une infirmière qui se consacre à temps plein à la coordination des soins et au suivi de 400 patients. Elles se tiennent à la disposition des patients et des équipes soignantes pour toute question. Les neuf autres centres ont chacun une infirmière à temps partiel, qui est responsable de 250 patients. « Nous voulons améliorer la qualité de vie des patients et leur capacité d’autogestion de la maladie, affirme Mme Boudreault, et cela ne peut se faire sans la présence d’une infirmière qui passe du temps avec eux. » Le soutien financier pour le salaire des infirmières a été crucial à la participation des établissements hospitaliers.

Le comité exécutif a supervisé l’élaboration du matériel éducatif destiné aux médecins, infirmières et patients. Celui-ci tient compte des plus récentes lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie. Le réseau de représentants commerciaux de Boehringer Ingelheim a assuré la distribution du matériel éducatif. L’entreprise a fourni un soutien pour le développement du réseau de partage des connaissances, conçu de manière à favoriser la promotion des meilleures pratiques  et l’organisation des séances de formation et d’information dans les hôpitaux. « Nous avons donné des formations dans les départements de cardiologie, de médecine interne et d’urgence de tous les établissements participants », précise Sébastien Désormeau, Gestionnaire, Division des programmes de soins de santé de Boehringer Ingelheim.

Résultats

Bien que le programme FA-CILITER porte uniquement sur les soins, un second projet, baptisé INTEGRATE-AF et soutenu par Boehringer Ingelheim, évaluera les résultats du programme. Chaque infirmière pivot rédige des rapports de cas indiquant si les patients sont traités conformément aux lignes directrices, consigne le nombre d’hospitalisations et de visites à l’urgence ainsi que les résultats pour le patient et leur expérience. Selon la Dre Huynh, les résultats du projet INTEGRATE-AF devraient être présentés au Congrès canadien sur la santé cardiovasculaire et publiés en 2015. Le comité d’éthique responsable de la recherche multicentrique a approuvé le projet en septembre 2013 et on communique actuellement avec les patients afin d’obtenir leur consentement concernant l’accès à leurs données médicales.

Un sondage réalisé auprès des centres participants au printemps de 2013 a révélé que le projet est perçu de manière très favorable. « Les patients sont mieux renseignés sur leur maladie et ses risques, dit Mme Boudreault, ce qui améliore l’observance du traitement ainsi que les changements dans les habitudes de vie. L’important, c’est de réduire le risque d’AVC. Aussi, les patients sentent qu’on s’occupe d’eux. Nous n’avons pas encore les résultats, mais les infirmières croient fortement qu’elles permettent aux patients d’éviter des visites à l’urgence et des hospitalisations non nécessaires. »

Il semble également que le programme ait contribué à raccourcir la durée des visites à l’urgence. Les patients sont désormais traités beaucoup plus rapidement et risquent moins de se retrouver à l’hôpital, selon la Dre Danielle Dion, cardiologue à l’Hôpital Saint-Georges de Beauce.

Des patients ont publié sur le site Web du programme des témoignages et comptes rendus de leur expérience. Selon M. Peter O’Brien, un avocat montréalais : « C’est le programme FA-CILITER qui m’a apporté le plus grand soutien au cours de cette période éprouvante. On m’a suivi régulièrement et aidé à comprendre la FA en général et la mienne en particulier… comment la traiter et aussi comment vivre avec. On m’a renseigné sur le rôle vital des anticoagulants dans la prévention des AVC et montré comment donner une certaine structure à la masse d’information qu’on trouve sur Internet. »

Potentiel d’élargissement

FA-CILITER est le premier programme interdisciplinaire pour le traitement de la FA au Québec. Il a pour but de réduire les visites à l’urgence, d’améliorer la santé et l’expérience des patients, et de voir les postes d’infirmière pivot et les programmes éducatifs incorporés au réseau de la santé du Québec.

En vue d’assurer la viabilité du programme, la Dre Huynh et le comité exécutif examinent actuellement des moyens d’appliquer à l’échelle de la province les outils et le modèle de soins qui ont été développés. On reconnaît qu’il sera essentiel d’améliorer les soins primaires pour les patients atteints de FA. Au sein du CUSM, la Dre Huynh collabore avec le département de neurologie pour inclure les patients ayant déjà subi un AVC.

Il faudra obtenir des fonds additionnels pour poursuivre le travail des infirmières pivots, ce qui n’est pas évident dans le contexte économique actuel. Cependant, avant même la publication des résultats du programme, Mme Boudreault souligne que quatre des centres participants ont dégagé les avantages escomptés et financeront le poste d’infirmière pivot une fois le programme terminé. Ce rôle de est souvent intégré aux responsabilités d’une infirmière déjà en poste.

Le projet AMI-Québec, que dirigeait la Dre Huynh il y a plusieurs années, a été étendu à l’ensemble de la province grâce au soutien additionnel accordé par les Instituts de recherche en santé du Canada et le Fonds de recherche en santé du Québec. « Les subventions de l’industrie peuvent favoriser le soutien de l’État, et vice-versa », ajoute la Dre Huynh. Elle espère que le programme FA-CILITER recevra un soutien semblable et se transformera en un réseau permanent pour la prise en charge de la FA.

Dans ses démarches, la Dre Huynh a rencontré des entreprises qui ont manifesté beaucoup d’intérêt pour le soutien de projets qui encouragent l’utilisation des lignes directrices et l’amélioration des soins. Les ressources offertes par ces entreprises l’aident à poursuivre son but, soit de changer la manière dont les patients sont traités au Québec.

NOTES

  1. Depuis 1996, en collaboration avec d’autres professionnels de la santé du Québec, le Dr Jean Bourbeau dirige le programme d’autogestion de la maladie pulmonaire obstructive chronique qu’il a conçu, intitulé « Mieux vivre avec une MPOC ». Le programme aide les médecins à établir un partenariat avec leurs patients en vue de faciliter l’adoption de saines habitudes de vie. Les résultats ont montré une amélioration de la qualité de vie des patients, une réduction de 40 % des hospitalisations et des visites à l’urgence et une réduction de 60 % des consultations médicales non prévues. Le programme a été développé grâce au soutien d’un partenariat public-privé, auquel ont participé l’Institut thoracique de Montréal (CUSM), le Réseau en santé respiratoire du Fonds de recherche en santé du Québec, Boehringer Ingelheim Canada, Pfizer Canada, GlaxoSmithKline, l’Association pulmonaire du Canada, le Réseau québécois de l’asthme et de la MPOC (RQAM) ainsi que des professionnels de la santé et des patients du Canada et d’ailleurs. Le programme a été approuvé par le ministre de la Santé du Québec et implanté dans toutes les régions de la province. Il a également été adapté dans d’autres provinces et pays.
  2. AMI-Québec est un programme de transfert des connaissances qui vise à optimiser le continuum de soins — préhospitalisation, hospitalisation, congé et soins à long terme — pour les personnes atteintes de maladies cardiovasculaires, en cernant les lacunes dans les soins ainsi que les obstacles à une prise en charge optimale, puis en proposant des solutions pour surmonter ces obstacles. Le programme a reçu le soutien de Sanofi, Roche, Astra-Zeneca, Bristol-Myers Squibb, des Instituts de recherche en santé du Canada, du Fonds de recherche en santé du Québec et de l’Institut de recherche du CUSM.
  3. Membres du comité exécutif du programme FA-CILITER : Le Dr Félix Alejandro Ayala-Paredes (CHUS) ; la Dre Teresa Kus (HSCM) ; les Drs Vidal Essebag et Thao Huynh (CUSM) ; la Dre Martine Montigny (Hôpital de la Cité-de-la-Santé) ; les Drs Gilles O’Hara, François Philippon et Jean-François Sarrazin (IUCPQ) ; les Drs Isabelle Greiss et Jean-Marc Raymond (CHUM).