Cette étude de cas, préparée par le Forum d'innovation en santé avec des contributions du Dr Alain Larouche et Mme Guylaine Chabot du Groupe santé Concerto, et de M. Louis Larouche de Bell Solutions, examine comment le Groupe santé Concerto a réuni des partenaires des secteurs de la technologie et de la pharmacologie afin de seconder les équipes multidisciplinaires de soins primaires de Lanaudière, au Québec. — Produite dans le cadre de la série "Partenariats pour améliorer la performance du système de santé"

L’enjeu

Le nombre de personnes atteintes d’une ou de plusieurs maladies chroniques ne cesse d’augmenter, et l’exacerbation de ces maladies entraîne des taux élevés d’hospitalisations et de visites à l’urgence. D’où la priorité d’élaborer des méthodes de gestion des maladies chroniques en dehors du système hospitalier.

En 2008-2009, le Dr Alain Larouche et Mme Guylaine Chabot, consultants en santé chevronnés, ont reçu de l’Agence de la santé et des services (ASSS) de l’Outaouais le mandat de trouver des moyens d’améliorer l’accès aux soins de santé primaires, surtout pour les personnes atteintes de maladies chroniques. Un de leurs associés, le Dr Gerry Bédard, avait obtenu un mandat semblable de l’ASSS de Lanaudière. Tous les trois communiquaient régulièrement, partageant leurs frustrations face à l’impossibilité de surmonter les obstacles financiers, cliniques et administratifs à la mise en œuvre de stratégies efficaces pour la gestion des maladies chroniques. Jugeant qu’ils ne pouvaient s’acquitter de leur mandat dans les circonstances, le Dr Larouche et Mme Chabot ont mis fin à leur mandat et entrepris avec le Dr Bédard d’élaborer les conditions requises pour l’adoption d’un programme de gestion des maladies chroniques au niveau des soins primaires. Voici les quatre conditions :

  1. Des médecins de famille qui veulent s’investir dans la gestion des maladies chroniques au sein de leur population.
  2. Un centre de santé et de services sociaux régional (CSSS) disposé à collaborer avec les médecins de famille.
  3. Une équipe interdisciplinaire comptant sur des trajectoires de soins pour encadrer le travail de chaque membre de l’équipe.
  4. Un système d’information accessible à tous les membres de l’équipe soignante.

Avec le Dr Bédard, ils ont créé le Groupe santé Concerto en vue de développer des alliances stratégiques et des trajectoires de soins informatisées conçues pour la pratique interdisciplinaire en médecine de famille. « Les administrateurs du réseau de la santé ne savent pas ce qui se passe dans le cabinet du médecin, dit le Dr Larouche. Ce qu’ils savent c’est que 80 % des personnes de plus de 65 ans qui ont une ordonnance l’ont obtenue d’un médecin de famille. » Pourtant, rien ne permet de savoir si les lignes directrices sont suivies ou non, poursuit-il.

2013 CASE Concerto ImageL’objectif du Groupe était de mettre en place les conditions requises dans une région du Québec, de travailler avec un groupe de médecins de famille pour implanter des trajectoires de soins et y intégrer une équipe interdisciplinaire. Il s’agirait ensuite d’évaluer les résultats sur la santé des patients et sur l’utilisation des services de santé, puis d’élargir le modèle à l’ensemble des groupes de médecine familiale de la province.

Le projet

En premier lieu, le Groupe a élaboré les trajectoires de soins pour la prise en charge de maladies chroniques multiples en s’inspirant des lignes directrices consensuelles canadiennes et en y incorporant les rôles des différents membres d’une équipe multidisciplinaire. Le Dr Larouche a trouvé dans quelques grandes sociétés pharmaceutiques des partenaires disposés à soutenir leurs efforts. « Nos partenaires recherchaient des projets capables de montrer aux décideurs qu’un investissement dans des modèles améliorés de gestion de la maladie générerait des gains d’efficacité suffisants pour libérer des fonds qui seraient alors affectés au développement de nouveaux traitements et à l’amélioration de l’accès aux soins. »

Les sociétés pharmaceutiques sont tenues de démontrer à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) l’incidence d’un nouveau traitement sur les coûts. « L’INESSS veut que l’on documente des coûts sociaux vaguement définis, explique Mme Chabot, mais pour obtenir cette information, on doit aller sur le terrain et réaliser des études populationnelles dont les données sont recueillies dans un contexte de soins optimaux. » Plusieurs entreprises, dont Sanofi, Astra Zeneca, Pfizer, Bristol-Myers Squibb et Shire, ont accordé un soutien financier au Groupe pour l’élaboration des trajectoires de soins.

Le Dr Larouche a eu recours aux services de Bell, et en particulier de Louis Larouche (aucun lien de parenté), un expert de l’information en santé ayant déjà travaillé chez X-Wave, une entreprise bien connue au Québec. L’expertise de Bell a permis d’informatiser les trajectoires de soins complexes élaborées par le Groupe, donnant ainsi aux membres de l’équipe interdisciplinaire la possibilité de les adapter en fonction des besoins particuliers des patients, quel que soit le nombre de maladies chroniques dont ils étaient atteints.

Le CSSS de Sud de Lanaudière voulait établir un partenariat avec le Groupe pour implanter le nouveau modèle, et les deux ont signé une entente formelle en juin 2010. Comme le Dr Bédard avait déjà travaillé au CSSS à titre de directeur des services professionnels, il avait acquis la confiance des médecins de la région. Trois groupes de médecine familiale ont été abordés, soit une trentaine de médecins de famille responsables d’une population combinée de 50 000 personnes. L’ASSS du Sud de Lanaudière s’est ralliée au groupe pour lui prêter main-forte. De son côté, le Groupe a obtenu le soutien du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui a conclu un accord officialisant le partenariat et reconnaissant la contribution des partenaires du secteur privé. En juin 2010, le CSSS, l’ASSS, le Ministère et le Groupe santé Concerto signaient le contrat de collaboration pour la mise en œuvre d’un projet pilote de deux ans et l’analyse des résultats.

Le cadre juridique réglementant l’utilisation des données des patients a été élaboré avec grand soin. « Pour la première fois, dit M. Larouche, nous allions pouvoir échanger l’information entre les bureaux de médecins et l’hôpital. » Le personnel clinique aurait accès à certaines données, tandis que le Groupe ne consulterait les données qu’une fois les identifiants supprimés.

Bell a fourni gratuitement le système informatique et les services professionnels spécialisés. Le projet lui donnait l’occasion de démontrer qu’elle était en mesure de fournir des solutions efficaces pour la gestion des maladies chroniques. « Dès notre première réunion, poursuit M. Larouche, nous avons su que les partenaires des secteurs publics et privés étaient sur la même longueur d’onde. Bell a accepté d’investir près de 2 millions de dollars dans le projet. »

Bell était enthousiaste à l’idée de concevoir pour une équipe interdisciplinaire de soins primaires un système informatisé capable de gérer plus d’une maladie chronique à la fois. « Notre système allait donner aux membres de l’équipe accès aux trajectoires complexes élaborées par le Groupe, ajoute-t-il. Et le modèle nous plaisait d’autant plus qu’il donnait le contrôle de l’information aux médecins de soins primaires. »

Le moment était idéal pour tirer pleinement parti d’une équipe multidisciplinaire. En 2003, lors de la refonte du Code des professions, la province avait jeté les bases des équipes interdisciplinaires en remplaçant la notion d’exercice exclusif par celle de champ d’exercice. Ce changement a entraîné l’introduction d’ordonnances collectives : le médecin établit l’ordonnance, et les infirmières et pharmaciens liés au groupe de médecine familiale font le suivi et modifient au besoin la posologie.

Le CSSS a « prêté » des professionnels de la santé et des infirmières de soins primaires aux groupes de médecine familiale participant au projet. La solution Gestion des maladies chroniques de Bell a été reliée aux dossiers médicaux informatisés des médecins de famille, permettant ainsi à l’équipe multidisciplinaire d’utiliser les trajectoires de soins pour optimiser la gestion des maladies chroniques. Le modèle incitait les médecins de famille à confier la plupart des soins de leurs patients les plus vulnérables aux autres membres de l’équipe : infirmières, nutritionnistes, pharmaciens et autres. L’omnipraticien voit les patients périodiquement, et s’occupe de l’aiguillage et de l’établissement des ordonnances. Les autres fournisseurs de soins entrent l’information dans le dossier du patient, mais le médecin assume la responsabilité de concevoir et modifier le plan de traitement.

Résultats

Le projet pilote devait s’échelonner de janvier 2011 à mars 2013, et un chercheur indépendant a évalué diverses mesures après 18 mois, soit en juin 2012. La satisfaction des patients était supérieure à 85 % pour les 10 facteurs sélectionnés, et 99 % des patients ont mentionné que le plan de traitement qu’on leur avait donné s’intégrait bien à leur vie quotidienne. L’observance des meilleures pratiques s’établissait à 81 % pour les patients dyslipidémiques, à 88 % pour les patients diabétiques et à 94 % pour les patients hypertendus. Quant aux 58 patients qui avaient été hospitalisés trois fois ou plus dans les trois années précédant leur participation au projet, l’adoption de plans d’intervention personnalisés leur a évité 56 jours d’hospitalisation et 16,2 jours de civière dans les couloirs de l’urgence au cours des 90 jours de collecte de données. Cela a réduit la croissance des dépenses de l’hôpital local et du réseau de la santé.

Le système informatisé de Bell pour la gestion des maladies chroniques a été à la hauteur des attentes. « Les médecins, les infirmières et l’équipe multidisciplinaire consultaient les trajectoires de soins informatisées, précise M. Larouche, ainsi que les lignes directrices fondées sur des données probantes et les appliquaient aux patients atteints de quatre ou cinq maladies chroniques. »

Potentiel d’élargissement

À l’automne de 2012, des changements au Ministère et à la direction de l’ASSS et du CSSS du Sud de Lanaudière ont entraîné la fin prématurée du projet. « Le réseau a reconnu la qualité des trajectoires de soins et de notre accompagnement, dit le Dr Larouche, mais en raison des déficits budgétaires du CSSS, le gouvernement a réduit son financement, si bien qu’il a fallu sacrifier l’équipe multidisciplinaire rattachée au groupe de médecine familiale. C’est malheureux, car on s’attendait à générer des gains d’efficience dans la troisième année du projet. »

Le Dr Larouche et Mme Chabot éprouvent encore de la frustration face aux obstacles à l’amélioration des soins primaires, la résistance au changement étant l’un des plus difficiles. Vient ensuite celui du financement : il n’est plus question d’investir en vue de générer des gains d’efficacité, mais plutôt d’économiser un dollar pour chaque dollar dépensé. Les modèles de partage du risque pour les nouveaux médicaments ont été remplacés par des rabais négociés, réduisant ainsi l’intérêt pour les sociétés pharmaceutiques de soutenir des projets générateurs d’économies.

Le Groupe santé Concerto rassemble actuellement les derniers résultats du projet du Sud de Lanaudière et compte publier une étude sur l’indice de maturité qu’il a mis au point pour évaluer l’état de préparation au changement. Il travaille maintenant avec le directeur de l’ASSS Abitibi-Témiscamingue pour améliorer l’état de préparation aux fins de la gestion des maladies chroniques. Les Drs Larouche et Bédard aimeraient incorporer une partie de leurs travaux à la formation de nouveaux médecins et faire valider les trajectoires de soins par un partenaire universitaire. Les entreprises sont encore intéressées par l’analyse des données de soins primaires validées par des chercheurs indépendants, car cela les aidera à mieux comprendre la gestion de la médication de patients atteints de plusieurs maladies chroniques ainsi que les coûts sociaux de ces maladies.

Chez Bell, la patience est le mot d’ordre. « Maintenant, dit M. Larouche, il n’y a aucun système informatisé de gestion des maladies chroniques dans le réseau québécois. Inforoute Santé réussira peut-être à stimuler l’intérêt pour ce type de projet, mais du côté des investissements, il ne se passera rien avant 2015. »