M. Bernard Lord, conseiller spécial à l'IASI-CUSM, a rassemblé quatre experts à la conférence 2012 de l'IASI-CUSM en vue d’explorer les mesures à prendre pour que les établissements de santé du Québec puissent développer stratégiquement leurs activités et partenariats internationaux. Se trouvaient autour de la table : Dr Fabrice Brunet, directeur général du CHU Sainte-Justine; Mme Lise Denis, directrice générale de l'AQESSS; Mme Maria Mastracchio-Lafontaine, coprésidente du Comité des usagers au CUSM; et Dre Wendy Thomson, directrice de l'École de service social à l'Université McGill et présidente du Groupe d’experts sur le financement à l’activité. —Rapport d'une présentation à la conférence 2012 de l'IASI-CUSM

Comment rendre la mondialisation acceptable ?

Bernard Lord : Comment peut-on donner aux patients et aux gouvernements d’ici l’assurance que la collaboration internationale est une bonne chose et qu’elle peut accroître la capacité de nos établissements ?

Lise Denis : Les hôpitaux universitaires sont déjà présents sur la scène internationale et je pense que nous n’avons pas le choix. Cela répond parfois à des objectifs organisationnels et institutionnels, parfois à des objectifs d’aide humanitaire et parfois à des objectifs plus commerciaux.

Nos chercheurs sont de plus en plus appelés à travailler avec des équipes de recherche un peu partout dans le monde. Chaque année, ils publient plus de 5 000 articles dans des revues scientifiques de renommée internationale. Nous sommes aussi présents sur le plan éducatif parce que nous recevons de nombreux fellows et parce que nous envoyons nos étudiants se former à l’étranger. Là où il y a peut-être des préoccupations, c’est dans notre capacité d’exporter notre technologie et nos savoirs pour éduquer, commercialiser et générer des revenus. Nous sommes à la croisée des chemins. C’est la question de l’heure.

Maria Mastracchio-Lafontaine : Je prends la collaboration internationale comme une solution, et non un problème. J’aimerais voir des collaborations qui nous aident à apprendre comment les patients dans d’autres pays participent à leurs services, contribuent à leur amélioration et les utilisent de façon responsable.

Fabrice Brunet : Lorsqu’un de nos établissements va à l’étranger, ce n’est pas uniquement pour acquérir une expérience internationale. C’est pour rapporter des connaissances dans le cadre de sa mission, soit d’améliorer les soins et la santé de la population ici, au Québec. Le rendement de l’investissement que représente un projet de collaboration international peut prendre différentes formes : de l’argent pour diminuer le fardeau fiscal des contribuables québécois ou des connaissances, parce qu’on apprend des autres quand on travaille dans un établissement d’un autre pays.

Wendy Thomson : C’est l’ère de la mondialisation et nous devons rejoindre le mouvement. Je crois que nous en profiterons, mais notre système de santé n’a pas été conçu dans l’esprit de la mondialisation ni de l’échange. Pour le protéger, nous ne l’exposons pas au marché; il n’a aucun mécanisme interne pour favoriser des échanges de savoirs ou de services. Le public a déjà déboursé pour nos actifs en santé, et les services sont présentement rationnés par les listes d’attente. Nos hôpitaux ne disposent pas de l’autonomie voulue pour agir stratégiquement et participer à des échanges de façon à réaliser des avantages commerciaux.

Vu ces conditions, dans le public, on aura l’impression qu’il s’agit de ressources rares. Nos établissements et médecins bien-aimés sont indispensables ici, au pays, et nous ne voulons pas vraiment partager avec d’autres sans en retirer des avantages publiques. Je crois que tout le monde reconnaît qu’il y a bel et bien un rendement, mais nous n’avons pas, au Québec, les systèmes transparents dans le financement, la tarification et les mécanismes de reddition des comptes qui sont évidents dans les hôpitaux londoniens que j’ai pu observer. En Angleterre, les Trusts hospitaliers qui réussissent bien sont assez autonomes; ils connaissent les coûts et la valeur de leurs activités et savent où ils sont efficients, compétitifs et innovateurs. Ils pourront décider d’intensifier certaines activités à l’échelle internationale et vendre les services là où la demande existe. L’hôpital rend compte de ces activités de façon transparente et peut garder les fonds et les réinvestir, que ce soit dans des immobilisations, des services additionnels ou un accroissement du personnel.

Au Québec, il est interdit aux hôpitaux de conserver les fonds provenant d’activités internationales. Avant de s’aventurer plus loin dans les collaborations internationales, le Québec doit mettre en place les mécanismes nécessaires pour garantir la transparence et la viabilité de l’hôpital.

Question de vision

Lise Denis : Cela prend aussi une certaine vision gouvernementale. Nous n’avons pas senti, dans les dernières années, qu’il se dégage une vision claire du potentiel de nos établissements pour l’exportation des résultats de la recherche et la participation à des échanges internationaux. Il y a eu des gestes, mais c’est toujours au cas par cas, sans jamais de vision d’ensemble. Nous souhaitons que cette vision s’articule plus clairement et qu’elle vienne soutenir les activités de nos CHU. Il deviendrait ainsi plus facile de déterminer les activités prometteuses et leurs coûts, et d’avoir ainsi une mesure plus exacte du rendement de l’investissement. Puisqu’il s’agit de fonds publics, il est essentiel que les hôpitaux soient transparents et rendent des comptes au gouvernement et à la population par rapport à ces activités.

Fabrice Brunet : Le travail international doit être intégré à notre vision, et non considéré comme un à-côté de nos activités habituelles, et nous devons faire la démonstration que cela rapporte réellement. Il faut donc déterminer le coût unitaire de ce que l’on fournit, et comprendre que le coût de production varie d’un pays à un autre. On peut apprendre des autres en comparant ce coût unitaire et en trouvant des moyens d’améliorer l’efficacité de notre système.

Bernard Lord : Comment le Québec peut-il accentuer sa présence internationale, tout en veillant à ce que les collaborations soient fructueuses ?

Maria Mastracchio-Lafontaine : Il y a un manque de communication entre les CHU de la ville même. Nous devrions ouvrir nos portes et être prêts à échanger, à apprendre de nos collègues des autres hôpitaux montréalais. La collaboration devrait commencer chez nous.

Fabrice Brunet : Cette question est extrêmement importante. Avant d’aller chercher les connaissances au niveau international, ne pouvons-nous pas déjà échanger entre nous ? Dans cette optique, la conférence des centres hospitaliers universitaires du Québec a créé une mutualisation de la réflexion sur plusieurs plans — enseignement, recherche, soins et gestion — dans le but d’améliorer de façon continue ce que nous faisons ensemble. Mais à un moment donné, nos niveaux de compétences et de ressources vont plafonner parce qu’il y a une compétition mondiale, que nous ne pouvons pas négliger aujourd’hui. Pour continuer à se développer, Montréal et le Québec doivent attirer encore plus de cerveaux, encore plus de ressources.

Lise Denis : Il ne s’agit pas ici seulement d’échanges sur le plan médical. Je vous donne l’exemple d’un créneau où nous sommes particulièrement performants : le vieillissement. La population du Québec vieillit plus vite que presque toutes les autres populations ailleurs dans le monde, sauf au Japon. Nous avons la chance d’avoir des services pour les personnes âgées qui sont de plus en plus intégrés et des projets de recherche intersectoriels. Le Québec a une longueur d’avance en la matière et il serait intéressant d’en faire profiter d’autres pays. En contrepartie, il serait intéressant d’accroître nos connaissances sur des problématiques que nous maîtrisons moins bien. L’obésité et la santé mentale sont aussi des problèmes qui font appel à une vision plus large que la seule dimension médicale. 

Lors du Forum stratégique organisé par la Conférence des CHU du Québec et la Chambre de commerce de Montréal, en octobre dernier, une des représentantes de l’industrie a invité les établissements et le gouvernement à établir leur plan de match et leur vision, à déterminer leurs lignes de force et à les faire mieux connaître. L’idée de créer un guichet d’accès commun va tout à fait dans le même sens. Il permettrait à la fois de faciliter les processus et de mettre en valeur nos créneaux d’expertise.

Wendy Thomson : Avec mes préoccupations quant à la manière dont nous allons permettre à nos organisations d’exploiter pleinement ces occasions, j’ai l’impression de jouer la trouble-fête. Mais à moins de faire le point sur le coût de nos services de santé et sur nos talents et de distinguer ceux qui sont efficaces et de bonne qualité, il sera impossible de pénétrer le marché international en santé de façon productive. Si nous contrôlons les intrants en fonction des besoins locaux, mais vendons nos produits d’exploitation en fonction des besoins internationaux, les deux mandats ne s’aligneront jamais et le publique Québécois ne sera pas bien servi.

Lise Denis : Il faut tenir compte du contexte juridique québécois, qui nous impose peut-être plus de contraintes que celui de l’Ontario. Il nous faut plus de flexibilité pour travailler et établir des partenariats internationaux. Nous n’avons pas le choix, c’est une question de survie, tant pour la recherche que pour l’amélioration de la qualité des services de santé.

Wendy Thomson : Nous avons l’énergie et l’enthousiasme voulus pour nous lancer sur les marchés, acquérir d’excellentes connaissances et montrer aux autres la valeur de nos compétences et de nos apports. Mais quand cela veut dire changer la manière de faire les choses chez soi, il semble que ce soit parfois un peu plus difficile.